Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/374

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çant à comprendre, elle retira sa main et posa sa tête à la place que la main avait occupée.

« Je n’ai rien au monde. Je suis aussi pauvre que lorsque j’habitais cette prison. Lorsque papa est revenu en Angleterre, il a tout confié aux mêmes mains, et tout a disparu. Ô mon cher, mon bon monsieur Clennam, êtes-vous bien sûr que vous ne voulez pas prendre la moitié de ma fortune ? »

Il la serra dans ses bras, contre son cœur, tandis que ses nobles larmes mouillaient la joue de la jeune fille qui, joignant ses mains mignonnes derrière le col du prisonnier, le tenait ainsi enchaîné.

« Pour ne plus nous séparer, cher Arthur ; pour ne plus nous séparer jusqu’à notre dernier jour ! Jamais je n’ai été si riche, jamais je n’ai été si fière, jamais je n’ai été si heureuse. Je suis riche parce que vous voulez bien de moi ; je suis fière de ce que vous m’avez refusée riche ; je suis heureuse d’être auprès de vous dans cette prison, comme je serais encore heureuse (si c’était la volonté de Dieu de nous y ramener plus tard), de vous y consoler et de vous y soigner de tout mon cœur. Je suis à vous partout et toujours. Je vous aime de toute la force de mon âme ! J’aimerais mieux passer ma vie en prison avec vous, et sortir tous les jours pour gagner notre pain, que de posséder la plus grande fortune du monde, que d’être la plus grande dame qu’on ait jamais admirée. Oh ! si mon pauvre père pouvait seulement savoir comme je suis heureuse enfin dans cette chambre où il a souffert si longtemps ! »

Il va sans dire que la grosse Maggy n’avait pas attendu jusque-là pour ouvrir de grands yeux et verser d’abondantes larmes. Aussi fut-elle, à son tour, saisie d’un tel accès de joie qu’après avoir serré sa petite mère dans ses grands bras, au risque de l’étouffer, elle descendit l’escalier (ses socques semblaient danser un rigodon tout le long de la route) dans l’espoir de rencontrer quelqu’un à qui elle pût confier sa joie.

Et en effet : devinez qui elle rencontra à l’entrée de la prison ? Flora en personne, accompagnée de la tante de feu M. Finching.

Et devinez qui la petite Dorrit rencontra, naturellement à la suite de cette première rencontre, l’attendant à la porte de la même prison, lorsqu’elle sortit deux ou trois bonnes heures plus tard ? encore Flora.

Elle avait les yeux rouges et semblait un peu abattue. Quant à la tante du défunt M. Finching, elle paraissait si roide qu’il aurait fallu, pour la ployer en deux, une force mécanique de vingt chevaux. Son chapeau était retroussé de travers, derrière sa tête, dans une attitude des plus menaçantes ; son ridicule rocailleux semblait aussi dur que s’il contenait une tête de Méduse qui l’eût pétrifié. Ornée de ses attributs imposants, la tante de M. Finching, assise en public sur les marches du domicile officiel du directeur, avait été pendant deux ou trois heures une bonne aubaine pour les plus jeunes habitants de la paroisse, dont cette dame énergique avait