Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/42

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cause aucune inquiétude ; Fanny a un caractère capable de se plier aux circonstances. Mais je suis moins tranquille sur le compte de ma fille cadette. Je dois commencer par vous dire qu’elle a toujours été ma favorite.

— Voilà, remarqua Mme  Général, une de ces préférences dont on ne peut pas se rendre compte.

— Hem !… En effet ; vous avez raison. Or, madame, je suis peiné de voir qu’Amy, pour ainsi dire, n’est pas des nôtres. Elle ne tient pas à nous accompagner dans le monde ; elle semble perdue au milieu de la société que nous recevons ici : évidemment elle n’a pas les mêmes goûts que nous. En d’autres termes, continua M. Dorrit, se résumant avec la gravité d’un avocat général, il y a quelque chose qui cloche… hem !… chez Amy.

— Ne pourrait-on pas supposer, reprit Mme  Général avec une petite touche de vernis, que cela tient un peu à ce que Mlle  Amy n’est pas encore habituée à sa nouvelle position ?

— Pardon, madame, répliqua M. Dorrit avec assez de vivacité, Amy est la fille d’un gentleman : parce qu’à une certaine époque de ma vie j’ai été… hem !… loin de vivre dans l’opulence… comparativement parlant… et parce que Amy elle-même a été élevée… hem !… dans la retraite, il ne s’ensuit pas nécessairement qu’elle doive trouver sa position si nouvelle.

— C’est juste, c’est fort juste, monsieur.

— Voilà pourquoi, madame, j’ai pris la liberté (M. Dorrit appuya sur cette phrase en la répétant, comme pour indiquer, avec une fermeté polie qu’il ne fallait pas le contredire une seconde fois), j’ai pris la liberté de solliciter la faveur de cette entrevue, afin de vous parler à ce sujet et de vous demander conseil.

— Monsieur Dorrit, depuis notre séjour en cette ville, j’ai déjà eu plusieurs conversations avec Amy sur le maintien que doit avoir une demoiselle en général. Elle m’a dit que l’aspect de Venise l’étonnait au dernier point. Je lui ai fait observer qu’il vaut mieux ne pas s’étonner. Je lui ai rappelé que le célèbre M. Eustace, le touriste classique, ne paraît pas faire grand cas de cette cité et que dans son livre il préfère au Rialto nos ponts de Westminster et de Blackfriars. Je n’ai pas besoin d’ajouter, après ce que vous venez de me dire, que miss Amy n’a pas encore mis mes leçons à profit. Vous me faites l’honneur de me demander un conseil. Il m’a toujours semblé, si mon hypothèse est erronée, vous voudrez bien me le pardonner, que monsieur Dorrit est depuis longtemps habitué à exercer une grande influence sur l’esprit de son entourage.

— Hem !… madame, je vous avouerai que je me suis trouvé à la tête… hem !… d’une communauté considérable. Vous avez raison de supposer que je suis accoutumé à occuper… une position influente.

— Je suis heureuse de vous voir corroborer mon opinion, et j’en ai d’autant plus de confiance pour conseiller vivement à monsieur Dorrit de parler lui-même à Amy pour lui faire part de ses ob-