Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/59

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en face d’elle, fut Blandois de Paris drapé dans un grand manteau, coiffé d’un chapeau de brigand, debout sur une estrade à l’autre bout de l’atelier tel qu’elle l’avait vu debout sur le grand Saint-Bernard, tandis que les poteaux à bras de squelette semblaient, de leur doigt indicateur, la mettre en garde contre lui. Elle recula en voyant le voyageur qui lui souriait.

« N’ayez pas peur, dit Gowan quittant son chevalet dressé derrière la porte. Ce n’est que Blandois. Il me sert de modèle aujourd’hui. Je croque une étude d’après lui. C’est toujours une économie que je fais en tirant parti de sa tête. Nous autres pauvres rapins, nous n’avons pas d’argent à jeter par la fenêtre. »

Blandois de Paris ôta son chapeau à larges bords et salua les dames sans quitter son coin.

« Mille pardons ! dit-il, mais le maestro se montre si inexorable avec moi que je n’ose pas bouger.

— Ne bougez pas alors, répondit tranquillement Gowan, tandis que les deux sœurs s’approchaient du chevalet. Que ces dames voient au moins l’original de ma croûte, afin qu’elles sachent ce que j’ai voulu représenter. Le voilà, mesdemoiselles. Un brave attendant sa proie, un illustre patriote attendant l’occasion de sauver sa patrie, l’ennemi commun attendant l’occasion de faire du mal au premier venu, ou un messager du ciel attendant l’occasion de rendre service au premier venu… tout ce que vous trouverez qui lui ressemble le mieux.

— Dites plutôt, professore mio, un pauvre gentilhomme qui attend l’occasion de présenter ses hommages à l’élégance et à la beauté, remarqua Blandois.

— Ou disons, cattivo soggetto mio, répondit Gowan, donnant un coup de pinceau au portrait à l’endroit où le visage du modèle venait de remuer, un assassin qui vient de faire son coup. Montrez votre blanche main, Blandois. Tenez-la en dehors du manteau. Ne la remuez pas. »

La main de Blandois tremblait un peu mais, comme il riait en ce moment, c’est ce qui explique pourquoi elle ne pouvait tenir en place.

« Il vient de lutter avec un autre meurtrier ou avec sa victime, voyez-vous, continua Gowan, traçant les mouvements de la main avec quelques coups de pinceau rapides, impatients, heurtés, et en voici les preuves. Tenez donc la main en dehors du manteau !… Corpo di San Marco, à quoi donc pensez-vous ? »

Blandois de Paris se mit à rire encore une fois, ce qui fit trembler davantage sa main ; il la leva pour caresser sa moustache qui avait l’air moite ; puis il reprit la pose voulue, avec un air encore un peu plus fanfaron que d’habitude.

Son visage était tourné vers l’endroit où se tenait la petite Dorrit, à côté du chevalet, il n’avait pas cessé de la regarder. Fascinée par le regard particulier de Blandois, la jeune fille ne pouvait en détacher les yeux et elle les tenait fixés sur lui. C’était elle qui