Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/97

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donné rendez-vous à quelqu’un qui devait arriver par là, mais sans perdre de vue les trois promeneurs. Lorsque ceux-ci se furent rejoints, l’inconnu ôta son chapeau et salua Mlle  Wade. Tattycoram parut le présenter à sa maîtresse, en l’excusant d’être venu trop tôt ou trop tard, ou de je ne sais quoi ; puis elle s’éloigna de quelques pas pour les laisser seuls. Mlle  Wade et l’étranger se mirent alors à se promener sur la terrasse ; celui-ci avait l’air extrêmement poli et galant ; Mlle  Wade, au contraire, semblait extrêmement hautaine et réservée.

Lorsqu’ils arrivèrent près du coin et rebroussèrent chemin, elle lui disait :

« Si je me prive pour cela, monsieur, c’est mon affaire. Ne vous occupez que de ce qui vous regarde, et ne me faites pas de questions.

— Par le ciel, madame ! s’écria l’inconnu avec un nouveau salut, si j’ai été indiscret, ne vous en prenez qu’à mon profond respect pour la force de votre caractère et à mon admiration pour votre beauté.

— Je ne demande ni l’un ni l’autre à qui que ce soit, répondit Mlle  Wade, mais à un homme de votre espèce moins qu’à personne. Continuez votre rapport.

— Me pardonnez-vous ? demanda l’autre d’un ton de galanterie humiliée.

— Je vous paye, répliqua-t-elle ; c’est tout ce qu’il vous faut. »

Arthur ne put deviner si Tattycoram se tenait à distance parce qu’elle ne devait pas entendre cette conversation, ou parce qu’elle savait d’avance de quoi il s’agissait. Quand ils se retournaient au bout de leur promenade, elle se retournait et faisait comme eux. Elle marchait les mains croisées devant elle en regardant la rivière ; c’était tout ce qu’Arthur pouvait voir d’elle sans se montrer lui-même. Par un heureux hasard, il y avait là un flâneur qui attendait réellement quelqu’un, et qui tantôt se penchait par-dessus la balustrade pour voir la rivière, tantôt se rapprochait du coin obscur pour regarder dans la direction de la rue, de manière que la présence de Clennam appelait moins d’attention.

Lorsque Mlle  Wade et son compagnon revinrent, celle-ci disait :

« Il faut que vous attendiez jusqu’à demain.

— Mille pardons ! répondit-il. Mais c’est vraiment bien désagréable ! Cela ne peut donc pas s’arranger ce soir ?

— Non. Je vous répète que je dois l’aller chercher moi-même avant de vous le donner. »

Elle s’arrêta au milieu du chemin comme pour mettre fin à la conférence. L’inconnu s’arrêta aussi naturellement. Tattycoram se rapprocha d’eux.

« Cela me gêne un peu, dit l’étranger : un peu ; mais, sacrebleu ! ce n’est rien en comparaison du service rendu. Je me trouve justement sans argent ce soir. J’ai bien un excellent banquier dans cette ville, mais je préfère ne pas m’adresser à cette maison-là avant de pouvoir tirer sur elle pour une somme assez ronde.