Aller au contenu

Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 1.djvu/130

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

me voir à la lumière. Il était prématurément chauve, et possédait une paire de sourcils noirs qui se tenaient tout droits ; ses yeux étaient enfoncés dans sa tête, et leur expression était perçante et désagréablement soupçonneuse ; il avait une grande chaîne de montre, et sur la figure de gros points noirs où sa barbe et ses favoris eussent été, s’il les eût laissé pousser. Il n’était rien pour moi, mais par hasard j’eus l’occasion de le bien observer.

« Tu es des environs ? dit-il.

— Oui, monsieur, répondis-je.

— Pourquoi viens-tu ici ?

— C’est miss Havisham qui m’a envoyé chercher, monsieur.

— Bien. Conduis-toi convenablement. J’ai quelque expérience des jeunes gens, ils ne valent pas grand’chose à eux tous. Fais attention, ajouta-t-il, en mordant son gros index et en fronçant ses gros sourcils, fais attention à te bien conduire. »

Là-dessus, il me lâcha, ce dont je fus bien aise, car sa main avait une forte odeur de savon, et il continua à monter l’escalier. Je me demandais à moi-même si ce n’était pas un docteur ; mais non, pensai-je, ce ne peut être un docteur, il aurait des manières plus douces et plus avenantes. Du reste, je n’eus pas grand temps pour réfléchir à ce sujet, car nous nous trouvâmes bientôt dans la chambre de miss Havisham, où elle et tous les objets qui l’entouraient étaient exactement dans le même état où je les avais laissés. Estelle me laissa debout près de la porte, et j’y restai jusqu’à ce que miss Havisham jetât les yeux sur moi.

« Ainsi donc, dit-elle sans la moindre surprise, les jours convenus sont écoulés ?

— Oui, madame, c’est aujourd’hui…

— Là !… là !… là !… fit-elle avec son impatient