Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 1.djvu/131

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mouvement de doigts, je n’ai pas besoin de le savoir. Es-tu prêt à jouer ? »

Je fus obligé de répondre avec un peu de confusion.

« Je ne pense pas, madame.

— Pas même aux cartes ? demanda-t-elle avec un regard pénétrant.

— Si, madame, je puis faire cela, si c’est nécessaire.

— Puisque cette maison te semble vieille et triste, dit miss Havisham avec impatience, et puisque tu ne veux pas jouer, veux-tu travailler ? »

Je répondis à cette demande de meilleur cœur qu’à la première, et je dis que je ne demandais pas mieux.

« Alors, entre dans cette chambre, dit-elle en me montrant avec sa main ridée une porte qui était derrière moi, et attends-moi là jusqu’à ce que je vienne. »

Je traversai le palier, et j’entrai dans la chambre qu’elle m’avait indiquée. Le jour ne pénétrait pas plus dans cette chambre que dans l’autre, et il y régnait une odeur de renfermé qui oppressait. On venait tout récemment d’allumer du feu dans la vieille cheminée, mais il était plus disposé à s’éteindre qu’à brûler, et la fumée qui persistait à séjourner dans cette chambre, semblait encore plus froide que l’air, et ressemblait au brouillard de nos marais. Quelques bouts de chandelles placés sur la tablette de la grande cheminée éclairaient faiblement la chambre : ou, pour mieux dire, elles n’en troublaient que faiblement l’obscurité. Elle était vaste, et j’ose affirmer qu’elle avait été belle ; mais tous les objets qu’on pouvait apercevoir étaient couverts de poussière, dans un état complet de vétusté, et tombaient en ruine. Ce qui attirait d’abord l’attention, c’était une longue table couverte d’une nappe, comme si la fête qu’on était en train de préparer dans la maison s’était arrêtée en même temps que les pen-