Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 1.djvu/133

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— Je ne devine pas, madame.

— C’est un grand gâteau… un gâteau de noces… le mien ! »

Elle regarda autour de la chambre, puis se penchant sur moi, sans ôter sa main de mon épaule :

« Viens !… viens !… viens ! Promène-moi… promène-moi. »

Je jugeai d’après cela que l’ouvrage que j’avais à faire était de promener miss Havisham tout autour de la chambre. En conséquence, nous nous mîmes en mouvement d’un pas qui, certes, aurait pu passer pour une imitation de celui de la voiture de mon oncle Pumblechook.

Elle n’était pas physiquement très-forte ; et après un moment elle me dit :

« Plus doucement ! »

Cependant nous continuions à marcher d’un pas fort raisonnable ; elle avait toujours sa main appuyée sur mon épaule, et elle ouvrit la bouche pour me dire que nous n’irions pas plus loin, parce qu’elle ne le pourrait pas. Après un moment, elle me dit :

« Appelle Estelle ! »

J’allai sur le palier et je criai ce nom comme j’avais fait la première fois. Quand sa lumière parut, je revins auprès de miss Havisham, et nous nous remîmes en marche.

Si Estelle eût été la seule spectatrice de notre manière d’agir, je me serais senti déjà suffisamment humilié ; mais comme elle amena avec elle les trois dames et le monsieur que j’avais vus en bas, je ne savais que faire. La politesse me faisait un devoir de m’arrêter ; mais miss Havisham persistait à me tenir l’épaule, et nous continuions avec la même ardeur notre promenade insensée. Pour ma part, j’étais navré à l’idée qu’ils allaient croire que c’était moi qui faisais tout cela.