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Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 1.djvu/138

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une force de caractère qui n’était pas naturelle et devait renfermer, je le prévoyais, l’intention de tomber en pâmoison, quand elle serait dehors. Elle envoya de la main un baiser à miss Havisham et disparut.

Sarah Pocket et Georgiana se disputaient à qui sortirait la dernière ; mais Sarah était trop polie pour ne pas céder le pas ; elle se glissa avec tant d’adresse derrière Georgiana, que celle-ci fut obligée de sortir la première. Sarah Pocket fit donc son effet séparé en disant ces mots :

« Soyez bénie, chère miss Havisham ! »

Et en ayant, sur sa petite figure de coquille de noix, un sourire de pitié pour la faiblesse des autres.

Pendant qu’Estelle les éclairait pour descendre, miss Havisham continuait de marcher, en tenant toujours sa main sur mon épaule ; mais elle se ralentissait de plus en plus. À la fin, elle s’arrêta devant le feu, et dit, après l’avoir regardé pendant quelques secondes :

« C’est aujourd’hui l’anniversaire de ma naissance, Pip. »

J’allais lui en souhaiter encore un grand nombre, quand elle leva sa canne.

« Je ne souffre pas qu’on en parle jamais, pas plus ceux qui étaient ici tout à l’heure que les autres. Ils viennent me voir ce jour-là, mais ils n’osent pas y faire allusion. »

Bien entendu, je n’essayai pas, moi non plus, d’y faire allusion davantage.

« À pareil jour, bien longtemps avant ta naissance, ce monceau de ruines, qui était alors un gâteau, dit-elle en montrant du bout de sa canne, mais sans y toucher, l’amas de toiles d’araignées qui était sur la table, fut apporté ici. Lui et moi, nous nous sommes usés ensemble ; les souris l’ont rongé, et moi-même