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Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 1.djvu/17

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CHAPITRE II.


Ma sœur, Mrs Joe Gargery, n’avait pas moins de vingt ans de plus que moi, et elle s’était fait une certaine réputation d’âme charitable auprès des voisins, en m’élevant, comme elle disait, « à la main ». Obligé à cette époque de trouver par moi-même la signification de ce mot, et sachant parfaitement qu’elle avait une main dure et lourde, que d’habitude elle laissait facilement retomber sur son mari et sur moi, je supposai que Joe Gargery était, lui aussi, élevé à la main.

Ce n’était pas une femme bien avenante que ma sœur ; et j’ai toujours conservé l’impression qu’elle avait forcé par la main Joe Gargery à l’épouser. Joe Gargery était un bel homme ; des boucles couleur filasse encadraient sa figure douce et bonasse, et le bleu de ses yeux était si vague et si indécis, qu’on eût eu de la peine à définir l’endroit où le blanc lui cédait la place, car les deux nuances semblaient se fondre l’une dans l’autre. C’était un bon garçon, doux, obligeant, une bonne nature, un caractère facile, une sorte d’Hercule par sa force, et aussi par sa faiblesse.

Ma sœur, Mrs Joe, avec des cheveux et des yeux noirs, avait une peau tellement rouge que je me demandais souvent si, peut-être, pour sa toilette, elle ne