Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 1.djvu/176

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de tous les coquins, repartit ma sœur, et je ne pourrais pas être le maître de tous les imbéciles sans être celui de votre patron, qui est le roi des buses et des imbéciles… et je ne pourrais pas être le maître des coquins sans être votre maître, à vous, qui êtes le plus lâche et le plus fieffé coquin de tous les coquins d’Angleterre et de France. Et puis !…

— Vous êtes une vieille folle, mère Gargery, dit l’ouvrier de Joe, et si cela suffit pour faire un bon juge de coquins, vous en êtes un fameux !

— Laissez-la tranquille, je vous en prie, dit Joe.

— Qu’avez-vous dit ? s’écria ma sœur en commençant à pousser des cris ; qu’avez-vous dit ? Que m’a-t-il dit, Pip ?… Comment a-t-il osé m’appeler en présence de mon mari ?… Oh !… oh !… oh !… »

Chacune de ces exclamations était un cri perçant. Ici, je dois dire, pour rendre hommage à la vérité, que chez ma sœur, comme chez presque toutes les femmes violentes que j’ai connues, la passion n’était pas une excuse, puisque je ne puis nier qu’au lieu d’être emportée malgré elle par la colère, elle ne s’efforçât consciencieusement et de propos délibéré de s’exciter elle-même et n’atteignit ainsi par degrés une fureur aveugle.

« Comment, reprit-elle, comment m’a-t-il appelée devant ce lâche qui a juré de me défendre ?… Oh ! tenez-moi !… tenez-moi !…

— Ah ! murmura l’ouvrier entre ses dents, si tu étais ma femme, je te mettrais sous la pompe et je t’arroserais convenablement.

— Je vous dis de la laisser tranquille, répéta Joe.

— Oh ! s’entendre traiter ainsi ! s’écria ma sœur arrivée à la seconde période de sa colère, oh ! s’entendre donner de tels noms par cet Orlick ! dans ma propre