Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 1.djvu/177

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maison !… Moi ! une femme mariée !… en présence de mon mari !… Oh !… oh !… oh !… »

Ici, ma sœur, après avoir crié et frappé du pied pendant quelques minutes, commença à se frapper la poitrine et les genoux, puis elle jeta son bonnet en l’air et se tira les cheveux. C’était sa dernière étape avant d’arriver à la rage. Ma sœur était alors une véritable furie ; elle eut un succès complet. Elle se précipita sur la porte qu’heureusement j’avais eu le soin de fermer.

Que pouvait faire Joe après avoir vu ses interruptions méconnues, si ce n’est de s’avancer vers son ouvrier et de lui demander pourquoi il s’interposait entre lui et Mrs Joe, et ensuite s’il était homme à venir sur le terrain. Le vieil Orlick vit bien que la situation exigeait qu’on en vînt aux mains, et il se mit aussitôt sur la défensive. Sans prendre seulement le temps d’ôter leurs tabliers de cuir, ils s’élancèrent l’un sur l’autre comme deux géants, mais personne, à ma connaissance du moins, n’aurait pu tenir longtemps contre Joe. Orlick roula bientôt dans la poussière de charbon, ni plus ni moins que s’il eût été le jeune homme pâle, et ne montra pas beaucoup d’empressement à sortir de cette situation piteuse. Alors Joe alla ouvrir la porte et ramassa ma sœur, qui était tombée sans connaissance près de la fenêtre (pas avant toutefois d’avoir assisté au combat). On la transporta dans la maison, on la coucha, et on fit tout ce qu’on put pour la ranimer, mais elle ne fit que se débattre et se cramponner aux cheveux de Joe. Alors suivit ce calme singulier et ce silence étrange qui succèdent à tous les orages, et je montai m’habiller avec une vague sensation que j’avais déjà assisté à une pareille scène, que c’était dimanche et que quelqu’un était mort.