Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 1.djvu/183

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long de la rivière. Je restais plongé dans mes pensées. Orlick murmurait de temps en temps :

« Battez !… battez !… vieux Clem ! »

Je pensais qu’il avait bu ; mais il n’était pas ivre.

Nous atteignîmes ainsi le village. Le chemin que nous suivions nous faisait passer devant les Trois jolis bateliers ; l’auberge, à notre grande surprise (il était onze heures), était en grande agitation et la porte toute grande ouverte. M. Wopsle entra pour demander ce qu’il y avait, soupçonnant qu’un forçat avait été arrêté ; mais il en revint tout effaré en courant :

« Il y a quelque chose qui va mal, dit-il sans s’arrêter. Courons chez vous, Pip… vite… courons !

— Qu’y a-t-il ? demandai-je en courant avec lui, tandis qu’Orlick suivait à côté de moi.

— Je n’ai pas bien compris ; il paraît qu’on est entré de force dans la maison pendant que Joe était sorti ; on suppose que ce sont des forçats ; ils ont attaqué et blessé quelqu’un. »

Nous courions trop vite pour demander une plus longue explication, et nous ne nous arrêtâmes que dans notre cuisine. Elle était encombrée de monde, tout le village était là et dans la cour. Il y avait un médecin, Joe et un groupe de femmes rassemblés au milieu de la cuisine. Ceux qui étaient inoccupés me firent place en m’apercevant, et je vis ma sœur étendue sans connaissance et sans mouvement sur le plancher, où elle avait été renversée par un coup furieux asséné sur le derrière de la tête, pendant qu’elle était tournée du côté du feu. Décidément, il était écrit qu’elle ne se mettrait plus jamais en colère tant qu’elle serait la femme de Joe.

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