Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 1.djvu/198

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C’était exactement ce que j’avais pensé bien des fois, et ce qui, dans ce moment, me paraissait de la plus parfaite évidence ; mais comment moi, pauvre garçon de village, aurais-je pu éviter cette inconséquence étonnante, dans laquelle les hommes les plus sages et les meilleurs tombent chaque jour ?

« Tout cela peut être vrai, dis-je à Biddy, mais je la trouve si belle ! »

En disant ces mots, je détournai brusquement ma figure, je saisis une bonne poignée de cheveux de chaque côté de ma tête, et je les arrachai violemment, tout en ayant bien conscience, pendant tout ce temps, que la folie de mon cœur était si absurde et si déplacée que j’aurais bien mieux fait, au lieu de détourner ma face et de me tirer les cheveux, de cogner ma tête contre une muraille pour la punir d’appartenir à un idiot tel que moi.

Biddy était la plus raisonnable des filles, et elle n’essaya plus de me convaincre. Elle mit sa main, main fort agréable, quoiqu’un peu durcie par le travail, sur les miennes ; elle les détacha gentiment de mes cheveux, puis elle me frappa doucement sur l’épaule pour tâcher de m’apaiser, tandis que, la tête dans ma manche, je versai quelques larmes, exactement comme j’avais fait dans la brasserie, et je sentis vaguement au fond de mon cœur qu’il me semblait que j’étais fort maltraité par quelqu’un ou par tout le monde, je ne sais lequel des deux.

« Je me réjouis d’une chose, dit Biddy, c’est que tu aies senti que tu pouvais m’accorder ta confiance, Pip, et d’une autre encore, c’est que tu sais que je la mériterai toujours, et que je ferai tout pour la conserver. Quant à ta première institutrice, pauvre institutrice qui a tant elle-même à apprendre ! si elle était ton in-