Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 1.djvu/199

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stitutrice en ce moment-ci, elle sait bien quelle leçon elle te donnerait, mais ce serait une rude leçon à apprendre, et, comme maintenant tu en sais plus qu’elle, ça ne servirait à rien. »

En disant cela, Biddy soupira et eut l’air de me plaindre ; puis elle se leva, et me dit avec un changement agréable dans la voix :

« Allons-nous un peu plus loin ou rentrons-nous à la maison ?

— Biddy ! m’écriai-je en me levant, en jetant mes bras à son cou et en l’embrassant, je te dirai toujours tout.

— Jusqu’au jour où tu seras devenu un monsieur, dit Biddy.

— Tu sais bien que je ne serai jamais un vrai monsieur, ce sera donc toujours ainsi, non pas que j’aie quelque chose à te dire, car tu sais maintenant tout ce que je pense et tout ce que je sais.

— Ah ! murmura Biddy, en portant ses yeux sur l’horizon ; puis elle reprit sa plus douce voix pour me dire de nouveau : allons-nous un peu plus loin ou rentrons-nous à la maison ? »

Je dis à Biddy que nous irions un peu plus loin. C’est ce que nous fîmes ; et cette charmante après-midi d’été se changea en un soir d’été magnifique. Je commençais à me demander si je n’étais pas infiniment mieux sous tous les rapports, et plus naturellement placé dans les conditions où je me trouvais depuis mon enfance, que de jouer à la bataille dans une chambre éclairée par une chandelle, où les pendules étaient arrêtées et où j’étais méprisé par Estelle. Je pensais que ce serait un grand bonheur si je pouvais m’ôter Estelle de la tête, ainsi que toutes mes folles imaginations et tous mes souvenirs, et si je pouvais prendre