Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 1.djvu/219

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teuil à coussins, et Biddy cousait, assise près du feu. Joe était placé près de Biddy et moi près de Joe, dans le coin qui faisait face à ma sœur. Plus je regardais les charbons brûler, plus je devenais incapable de lever les yeux sur Joe. Plus le silence durait, plus je me sentais incapable de parler.

Enfin je parvins à articuler :

« Joe, as-tu dit à Biddy ?…

— Non, mon petit Pip, répondit Joe sans cesser de regarder le feu et tenant ses genoux serrés comme s’il avait été prévenu qu’ils avaient l’intention de se séparer. J’ai voulu te laisser le plaisir de le lui dire toi-même, mon petit Pip.

— J’aime mieux que cela vienne de toi, Joe.

— Alors, dit Joe, mon petit Pip devient un richard, Biddy, que la bénédiction de Dieu l’accompagne ! »

Biddy laissa tomber son ouvrage et leva les yeux sur moi. Joe leva ses deux genoux et me regarda. Quant à moi, je les regardai tous les deux. Après un moment de silence, ils me félicitèrent de tout leur cœur, mais je sentais qu’il y avait une certaine nuance de tristesse dans leurs félicitations. Je pris sur moi de bien faire comprendre à Biddy, et à Joe par Biddy, que je considérais que c’était une grave obligation pour mes amis de ne rien savoir et de ne rien dire sur la personne qui me protégeait et qui faisait ma fortune. Je fis observer que tout cela viendrait en temps et lieu ; mais que, jusque-là, il ne fallait rien dire, si ce n’est que j’avais de grandes espérances, et que ces grandes espérances venaient d’un protecteur inconnu. Biddy secoua la tête d’un air rêveur en reprenant son ouvrage, et dit qu’en ce qui la regardait particulièrement elle serait discrète. Joe, sans ôter ses mains de dessus ses genoux, dit :