Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 1.djvu/26

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— Qu’est-ce qui tire ? demandai-je.

— Qu’est-ce que c’est qu’un garçon comme ça ? fit ma sœur en fronçant le sourcil par-dessus son ouvrage. Quel questionneur éternel tu fais… Ne fais pas de questions, et on ne te dira pas de mensonges. »

Je pensais que ce n’était pas très-poli pour elle-même de me laisser entendre qu’elle me dirait des mensonges, si je lui faisais des questions. Mais elle n’était jamais polie avec moi, excepté quand il y avait du monde.

À ce moment, Joe vint augmenter ma curiosité au plus haut degré, en prenant beaucoup de peine pour ouvrir la bouche toute grande, et lui faire prendre la forme d’un mot qui, au mouvement de ses lèvres, me parut être :

« Boudé… »

Je regardai naturellement Mrs Joe et dis :

« Elle ? »

Mais Joe ne parut rien entendre du tout, et il répéta le mouvement avec plus d’énergie encore ; je ne compris pas davantage.

« Mistress Joe, dis-je comme dernière ressource, je voudrais bien savoir… si cela ne te fait rien… où l’on tire le canon ?

— Que Dieu bénisse cet enfant ! s’écria ma sœur d’un ton qui faisait croire qu’elle pensait tout le contraire de ce qu’elle disait. Aux pontons !

— Oh ! dis-je en levant les yeux sur Joe, aux pontons ! »

Joe me lança un regard de reproche qui disait :

« Je te l’avais bien dit[1].

  1. En anglais : « Sulks » — bouder — ayant la même terminaison que « hulks » — pontons — la méprise de Pip est tout expliquée.