Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 1.djvu/25

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sa tête, ce doit être à moi. Mais peut-être cela n’est-il jamais arrivé à personne.

C’était la veille de Noël, et j’étais chargé de remuer, avec une tige en cuivre, la pâte du pudding pour le lendemain, et cela de sept à huit heures, au coucou hollandais. J’essayai de m’acquitter de ce devoir sans me séparer de ma tartine, et cela me fit penser une fois de plus à l’homme chargé de fers, et j’éprouvai alors une certaine tendance à sortir la malheureuse tartine de mon pantalon, mais la chose était bien difficile. Heureusement, je parvins à me glisser jusqu’à ma petite chambre, où je déposai cette partie de ma conscience.

— Écoute ! dis-je, quand j’eus fini avec le pudding, et que je revins prendre encore un peu de chaleur au coin de la cheminée avant qu’on ne m’envoyât coucher. Pourquoi tire-t-on ces grands coups de canon, Joe ?

— Ah ! dit Joe, encore un forçat d’évadé !

— Qu’est-ce que cela veut dire, Joe ? »

Mrs Joe, qui se chargeait toujours de donner des explications, répondit avec aigreur :

« Échappé ! échappé !… » administrant ainsi la définition comme elle administrait l’eau de goudron.

Tandis que Mrs Joe avait la tête penchée sur son ouvrage d’aiguille, je tâchai par des mouvements muets de mes lèvres de faire entendre à Joe cette question :

« Qu’est-ce c’est qu’un forçat ? »

Joe me fit une réponse grandement élaborée, à en juger par les contorsions de sa bouche, mais dont je ne pus former que le seul mot : « Pip !… »

« Un forçat s’est évadé hier soir après le coup de canon du coucher du soleil, reprit Joe à haute voix, et on a tiré le canon pour en avertir ; et maintenant on tire sans doute encore pour un autre.