Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 1.djvu/309

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« comme vous pouvez le voir, bien que vous ne l’ayez jamais vu, » me disait Herbert, — tout le portrait de sa mère. Il était donc tout naturel que je me prisse d’amitié pour lui plus que pour Drummle.

Dans les premières soirées de nos parties de canotage, nous ramions, côte à côte, en revenant à la maison, nous parlant d’un bateau à l’autre, tandis que Drummle suivait seul notre sillage sur les bords en saillie, et parmi les roseaux ; il s’approchait toujours des rives comme un animal amphibie, qui se trouve mal à l’aise lorsqu’il est poussé par la marée dans le vrai chemin. Il me semble toujours le voir nous suivre dans l’ombre et sur les bas-fonds, pendant que nos deux bateaux glissaient au milieu du fleuve, au soleil couchant, ou aux rayons de la lune.

Herbert était mon camarade et mon ami intime. Je lui offris la moitié de mon bateau, ce qui fut pour lui l’occasion de fréquents voyages à Hammersmith, et comme j’avais la moitié de son appartement, cela m’amenait souvent à Londres. Nous avions coutume d’aller et de venir à toute heure d’un endroit à l’autre. J’éprouve encore de l’affection pour cette route (bien qu’elle ne soit plus ce qu’elle était alors) embellie par les impressions d’une jeunesse pleine d’espoir et qui n’a pas été encore éprouvée.

J’avais déjà passé un ou deux mois dans la famille de M. Pocket, lorsque M. et Mrs Camille firent leur apparition. Camille était la sœur de M. Pocket. Georgiana, que j’avais vue chez miss Havisham, le même jour, fit aussi son apparition. C’était une de ces cousines, vieilles filles, difficiles à digérer, qui donnent à leur roideur le nom de religion, et à leur gaieté le nom d’humour. Ces gens là me haïssaient avec toute la haine de la cupidité et du désappointement. Il va sans