Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 1.djvu/327

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étions placés. Dès qu’il cessa de parler, elle reporta ses yeux sur lui.

« C’est bien, Molly, dit M. Jaggers en lui faisant un léger signe de tête ; on vous a admirée, et vous pouvez vous en aller. »

Elle retira ses mains et sortit de la chambre. M. Jaggers, prenant alors les carafons sur son dressoir, remplit son verre et fit circuler le vin.

« Il va être neuf heures et demie, messieurs, dit-il, et il faudra tout à l’heure nous séparer. Je vous engage à faire le meilleur usage possible de votre temps. Je suis aise de vous avoir vus tous. M. Drummle, je bois à votre santé ! »

Si son but, en distinguant Drummle, était de l’embarrasser encore davantage, il réussit parfaitement. Dans son triomphe stupide, Drummle montra le mépris morose qu’il faisait de nous, d’une manière de plus en plus offensante, jusqu’à ce qu’il devînt positivement intolérable. À travers toutes ces phases, M. Jaggers le suivit avec le même intérêt étrange. Drummle semblait en ce moment trouver du bouquet au vin de M. Jaggers.

Dans notre peu de discrétion juvénile, je crois que nous bûmes trop et je sais que nous parlâmes aussi beaucoup trop. Nous nous échauffâmes particulièrement à quelque grossière raillerie de Drummle, sur notre penchant à être trop généreux et à dépenser notre argent. Cela me conduisit à faire remarquer, avec plus de zèle que de tact, qu’il avait mauvaise grâce à parler ainsi, lui à qui Startop avait prêté de l’argent en ma présence, il y avait à peine une semaine.

« Eh bien ! repartit Drummle, il sera payé.

— Je ne veux pas dire qu’il ne le sera pas, répliquai-je ; mais cela devrait vous faire retenir votre langue sur nous et notre argent, je pense.