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Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 1.djvu/360

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dans les éclats du fer, jusque sur l’enclume, qui l’avaient fait sortir de l’obscurité de la nuit, pour me regarder à travers la fenêtre de la forge et disparaître ensuite… En un mot, il m’était impossible de la séparer, dans le passé ou dans le présent, des moments les plus intimes de mon existence.

Il fut convenu que je passerais tout le reste de la journée chez miss Havisham ; que je retournerais à l’hôtel le soir, et le lendemain à Londres. Quand nous eûmes causé pendant quelque temps, miss Havisham nous envoya promener dans le jardin abandonné. En y entrant, Estelle me dit que je devais bien la rouler un peu comme autrefois.

Estelle et moi entrâmes donc dans le jardin, par la porte près de laquelle j’avais rencontré le jeune homme pâle, aujourd’hui Herbert ; moi, le cœur tremblant et adorant jusqu’aux ourlets de sa robe ; elle, entièrement calme et bien certainement n’adorant pas les ourlets de mon habit. En approchant du lieu du combat, elle s’arrêta et dit :

« Il faut que j’aie été une singulière petite créature, pour me cacher et vous regarder combattre ce jour-là, mais je l’ai fait, et cela m’a beaucoup amusée.

— Vous m’en avez bien récompensé.

— Vraiment ! répliqua-t-elle naturellement, comme si elle se souvenait à peine. Je me rappelle que je n’étais pas du tout favorable à votre adversaire, parce que j’avais vu de fort mauvais œil qu’on l’eût fait venir ici pour m’ennuyer de sa compagnie.

— Lui et moi, nous sommes bons amis maintenant, lui dis-je.

— Vraiment ! Je crois me souvenir que vous faites vos études chez son père ?

— Oui. »