Aller au contenu

Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 1.djvu/365

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

et miss Havisham, un de ses bras flétris hors du fauteuil, reposait sa main crispée sur la nappe jaunie.

Estelle ayant retourné la tête et jeté un coup d’œil par-dessus son épaule, avant de sortir, miss Havisham lui envoya de la main un baiser ; elle imprima à ce mouvement une ardeur dévorante, vraiment terrible dans son genre. Puis Estelle étant partie, et nous restant seuls, elle se tourna vers moi, et me dit à voix basse :

« N’est-elle pas belle… gracieuse… bien élevée ? Ne l’admirez-vous pas ?

— Tous ceux qui la voient doivent l’admirer, miss Havisham. »

Elle passa son bras autour de mon cou et attira ma tête contre la sienne, toujours appuyée sur le dos de son fauteuil.

« Aimez-la… Aimez-la !… Aimez-la… Comment est-elle avec vous ? »

Avant que j’eusse eu le temps de répondre, si toutefois j’avais pu répondre à une question si délicate, elle répéta :

« Aimez-la !… Aimez-la !… Si elle vous traite avec faveur, aimez-la !… Si elle vous accable, aimez-la !… Si elle déchire votre cœur en morceaux, et à mesure qu’il deviendra plus vieux et plus fort, il saignera davantage, aimez-la !… aimez-la !… aimez-la !… »

Jamais je n’avais vu une ardeur aussi passionnée que celle avec laquelle elle prononçait ces mots. Je sentais autour de mon cou les muscles de son bras amaigri se gonfler sous l’influence de la passion qui la possédait.

« Écoutez-moi, Pip, je l’ai adoptée pour qu’on l’aime, je l’ai élevée pour qu’on l’aime, je lui ai donné