Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 1.djvu/64

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toutes flamber, fumer et s’éteindre. Autour de nous, tout était sombre et noir ; nos lumières réchauffaient l’air qui nous enveloppait par leurs flammes épaisses. Les prisonniers n’en paraissaient pas fâchés, en s’avançant au milieu des mousquets. Comme ils boitaient, nous ne pouvions aller très-vite, et ils étaient si faibles que nous fûmes obligés de nous arrêter deux ou trois fois pour les laisser reposer.

Après une heure de marche environ, nous arrivâmes à une hutte de bois et à un petit débarcadère. Il y avait un poste dans la hutte. On questionna le sergent. Alors nous entrâmes dans la hutte où régnait une forte odeur de tabac et de chaux détrempée. Il y avait un bon feu, une lampe, un faisceau de mousquets, un tambour et un grand lit de camp en bois, capable de contenir une douzaine de soldats à la fois. Trois ou quatre soldats, étendus tout habillés sur ce lit, ne firent guère attention à nous ; mais ils se contentèrent de lever un moment leurs têtes appesanties par le sommeil, puis les laissèrent retomber. Le sergent fit ensuite une espèce de rapport et écrivit quelque chose sur un livre. Alors, seulement, le forçat que j’appelle l’autre, fut emmené entre deux gardes pour passer à bord le premier.

Mon forçat ne me regarda jamais, excepté cette fois. Tout le temps que nous restâmes dans la hutte, il se tint devant le feu, en me regardant d’un air rêveur ; ou bien, mettant ses pieds sur le garde-feu, il se retournait et considérait tristement ses gardiens, comme pour les plaindre de leur récente aventure. Tout à coup, il fixa ses yeux sur le sergent, et dit :

« J’ai quelque chose à dire sur mon évasion. Cela pourra empêcher d’autres personnes d’être soupçonnées à cause de moi.

— Dites ce que vous voulez, répondit le sergent qui le