Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 1.djvu/76

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il était rêveur, c’est-à-dire en se mettant à tisonner le feu ; je vais te dire. Mon père, mon petit Pip, s’adonnait à la boisson, et quand il avait bu, il frappait à coups de marteau sur ma mère, sans miséricorde, c’était presque la seule personne qu’il eût à frapper, excepté moi, et il me frappait avec toute la vigueur qu’il aurait dû mettre à frapper son enclume. Tu m’écoutes, et… tu me comprends, mon petit Pip, n’est-ce pas ?

— Oui, Joe.

— En conséquence, ma mère et moi, nous quittâmes mon père à plusieurs reprises ; alors ma mère, en s’en allant à son ouvrage, me disait : « Joe, s’il plaît à Dieu, tu auras une bonne éducation. » Et elle me mettait à l’école. Mais mon père avait cela de bon dans sa dureté, qu’il ne pouvait se passer longtemps de nous : donc, il s’en venait avec un tas de monde faire un tel tapage à la porte des maisons où nous étions, que les habitants n’avaient qu’une chose à faire, c’était de nous livrer à lui. Alors, il nous emmenait chez nous, et là il nous frappait de plus belle ; comme tu le penses bien, mon petit Pip, dit Joe en laissant le feu et le poker en repos pour réfléchir ; tout cela n’avançait pas mon éducation.

— Certainement non, mon pauvre Joe !

— Cependant, prends garde, mon petit Pip, continua Joe, en reprenant le poker, et en donnant deux ou trois coups fort judicieux dans le foyer, il faut rendre justice à chacun : mon père avait cela de bon, vois-tu ? »

Je ne voyais rien de bon dans tout cela ; mais je ne le lui dis pas.

« Oui, continua Joe, il fallait que quelqu’un fît bouillir la marmite ; sans cela, la marmite n’aurait pas bouilli du tout, sais-tu ?… »