Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 1.djvu/78

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Et il me regardait comme s’il n’ignorait pas que mon opinion différât de la sienne ;

« … et ta sœur est un beau corps de femme. »

Je regardai le feu pour ne pas laisser voir à Joe le doute qui se peignait sur ma physionomie.

« Quelles que soient les opinions de la famille ou du monde à cet égard, mon petit Pip, ta sœur est, comme je te le dis… un… beau… corps… de… femme… », dit Joe en frappant avec le poker le charbon de terre à chaque mot qu’il disait.

Je ne trouvai rien de mieux à dire que ceci :

« Je suis bien aise de te voir penser ainsi, Joe.

— Et moi aussi, reprit-il en me pinçant amicalement, je suis bien aise de le penser, mon petit Pip… Un peu rousse et un peu osseuse, par-ci par là ; mais qu’est-ce que cela me fait, à moi ? »

J’observai, avec beaucoup de justesse, que si cela ne lui faisait rien à lui, à plus forte raison, cela ne devait rien faire aux autres.

« Certainement ! fit Joe. Tu as raison, mon petit Pip ! Quand je fis la connaissance de ta sœur, elle me dit comment elle t’élevait « à la main ! » ce qui était très-bon de sa part, comme disaient les autres, et moi-même je finis par dire comme eux. Quant à toi, ajouta Joe qui avait l’air de considérer quelque chose de très-laid, si tu avais pu voir combien tu étais maigre et chétif, mon pauvre garçon, tu aurais conservé la plus triste opinion de toi-même !

— Ce que tu dis là n’est pas très-consolant, mais ça ne fait rien, Joe.

— Mais ça me faisait quelque chose à moi, reprit-il avec tendresse et simplicité. Aussi, quand j’offris à ta sœur de devenir ma compagne ; quand à l’église et d’autres fois, je la priais de m’accompagner à la forge,