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Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 1.djvu/97

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seconde. Je me trompai, justement parce que je ne voyais qu’elle, et que la jeune espiègle me surveillait pour me prendre en faute. Pendant que j’essayais de faire de mon mieux, elle me traita de maladroit, de stupide et de malotru.

« Tu ne me dis rien d’elle ? me fit remarquer miss Havisham ; elle te dit cependant des choses très-dures, et tu ne réponds rien. Que penses-tu d’elle ?

— Je n’ai pas besoin de le dire.

— Dis-le moi tout bas à l’oreille, continua miss Havisham, en se penchant vers moi.

— Je pense qu’elle est très-fière, lui dis-je tout bas.

— Après ?

— Je pense qu’elle est très-jolie.

— Après ?

— Je pense qu’elle a l’air très-insolent. »

Elle me regardait alors avec une aversion très-marquée.

« Après ?

— Je pense que je voudrais retourner chez nous.

— Et ne plus jamais la voir, quoiqu’elle soit si jolie ?

— Je ne sais pas si je voudrais ne plus jamais la voir, mais je voudrais bien m’en aller à la maison tout de suite.

— Tu iras bientôt, dit miss Havisham à haute voix. Continuez à jouer ensemble. »

Si je n’avais déjà vu une fois son sourire de Parque, je n’aurais jamais cru que le visage de miss Havisham pût sourire. Elle paraissait plongée dans une méditation active et incessante, comme si elle avait le pouvoir de transpercer toutes les choses qui l’entouraient, et il semblait que rien ne pourrait jamais l’en tirer. Sa poitrine était affaissée, de sorte qu’elle était toute courbée ; sa voix était brisée, de sorte qu’elle parlait bas ; un