Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 1.djvu/98

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sommeil de mort s’appesantissait peu à peu sur elle. Enfin, elle paraissait avoir le corps et l’âme, le dehors et le dedans, également brisés, sous le poids d’un coup écrasant.

Je continuai la partie avec Estelle, et elle me battit ; elle rejeta les cartes sur la table, après me les avoir gagnées, comme si elle les méprisait pour avoir été touchées par moi.

« Quand reviendras-tu ici ? dit miss Havisham. Voyons… »

J’allais lui faire observer que ce jour-là était un mercredi, quand elle m’interrompit avec son premier mouvement d’impatience, c’est-à-dire en agitant les doigts de sa main droite :

« Là !… là !… je ne sais rien des jours de la semaine… ni des mois… ni des années… Viens dans six jours. Tu entends ?

— Oui, madame.

— Estelle, conduisez-le en bas. Donnez-lui quelque chose à manger, et laissez-le aller et venir pendant qu’il mangera. Allons, Pip, va ! »

Je suivis la chandelle pour descendre, comme je l’avais suivie pour monter. Estelle la déposa à l’endroit où nous l’avions trouvée. Jusqu’au moment où elle ouvrit la porte d’entrée, je m’étais imaginé qu’il faisait tout à fait nuit, sans y avoir réfléchi ; la clarté subite du jour me confondit. Il me sembla que j’étais resté pendant de longues heures dans cette étrange chambre, qui ne recevait jamais d’autre clarté que celle des chandelles.

« Tu vas attendre ici, entends-tu, mon garçon, » dit Estelle.

Et elle disparut en fermant la porte.

Je profitai de ce que j’étais seul dans la cour pour