Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 2.djvu/152

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nant la tête dans les mains, je suis trop abasourdi pour réfléchir à quoi que ce soit.

— Et moi aussi, j’ai été abasourdi quand ce coup est venu fondre sur moi. Cependant il faut faire quelque chose. Il veut faire de nouvelles dépenses, avoir des chevaux, des voitures, et afficher des dehors de prodigalité de toute espèce. Il faut l’arrêter d’une manière ou d’une autre.

— Vous voulez dire que vous ne pouvez accepter…

— Comment le pourrais-je ? dis-je, comme Herbert s’arrêtait. Pensez-y donc !… Regardez-le ! »

Un frisson involontaire nous parcourut tout le corps.

« Cependant, Herbert, j’entrevois l’affreuse vérité. Il m’est attaché, très-fortement attaché. Vit-on jamais une destinée semblable !

— Mon pauvre cher Haendel ! répéta Herbert.

— Et puis, dis-je en coupant court à ses bienfaits, en ne recevant pas de lui un seul penny de plus, songez à ce que je lui dois déjà ! et puis, je suis couvert de dettes, très-lourdes pour moi qui n’ai plus aucune espérance, qui n’ai pas appris d’état et qui ne suis bon à rien.

— Allons !… allons !… allons !… fit Herbert, ne dites pas bon à rien.

— À quoi suis-je bon ? Je ne sais qu’une chose à laquelle je sois bon, et cette chose est de me faire soldat, et je le serais déjà, cher Herbert, si je n’avais voulu d’abord prendre conseil de votre amitié et de votre affection. »

Ici je m’attendris, bien entendu, et bien entendu aussi Herbert, après avoir saisi chaleureusement ma main, prétendit ne pas s’en apercevoir.

« Mon cher Haendel, dit-il après un moment de réflexion, l’état de soldat ne fera pas l’affaire… Si vous étiez décidé à renoncer à sa protection et à ses faveurs,