Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 2.djvu/17

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héritage, si votre tuteur ne vous en a jamais parlé. Ai-je raison de comprendre ainsi ce que vous m’avez dit, qu’il n’a jamais fait allusion à elle, en aucune manière, directement ou indirectement ; que votre protecteur pouvait avoir des vues quant à votre mariage futur ?

— Jamais.

— Maintenant, Haendel, je ne veux pas vous faire de peine, sur mon âme et sur mon honneur ! Ne lui étant pas engagé, ne pouvez-vous vous détacher d’elle ? Je vous ai dit que j’allais être désagréable. »

Je détournai la tête, car quelque chose de glacial et d’inattendu fondait sur moi, comme le vent des vieux marais venant de la mer ; une sensation pénible comme celle qui m’avait subjugué le matin où j’avais quitté la forge, quand le brouillard se levait solennellement, et quand j’avais mis la main sur le poteau indicateur de notre village, fit de nouveau battre mon cœur. Il y eut entre nous un silence de quelques instants.

« Oui, mais mon cher Haendel, continua Herbert, comme si nous avions parlé au lieu de garder le silence, ce qui rend la chose très-sérieuse, c’est qu’elle a pris d’aussi fortes racines dans la poitrine d’un garçon que la nature et les circonstances ont fait si romanesque ! Songez à la manière dont elle a été élevée, et songez à miss Havisham. Songez à ce qu’elle est par elle-même. Mais voilà que je deviens repoussant et que vous me haïssez : cela peut amener des événements malheureux.

— Je sais tout ce que vous pouvez me dire, Herbert, repris-je en continuant de tenir ma tête tournée, mais je ne puis m’empêcher de l’aimer.

— Vous ne pouvez vous en détacher ?

— Non, cela m’est impossible !

— Vous ne pouvez pas essayer, Haendel ?

— Non, cela m’est impossible !