Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 2.djvu/230

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je crois que je l’ai dit ! Il me semble que je ne suis pas encore tout à fait desserré.

— Vous l’avez appelée une bête féroce apprivoisée, dis-je.

— Et vous, comment l’appelez-vous ? dit-il.

— La même chose. Comment M. Jaggers l’a-t-il apprivoisée, Wemmick ?

— C’est son secret ; il y a de longues années qu’elle est avec lui.

— Je voudrais que vous me disiez son histoire : j’ai un intérêt tout particulier à la connaître. Vous savez que ce qui se dit entre nous ne va pas plus loin.

— Eh bien ! répliqua Wemmick, je ne sais pas son histoire, c’est-à-dire que je n’en sais pas tous les détails ; mais ce que j’en sais, je vais vous le dire. Nous sommes toujours dans nos capacités privées et personnelles.

— Bien entendu.

— Il y a une vingtaine d’années, cette femme fut jugée à Old Bailey pour meurtre et fut acquittée. C’était une très-belle jeune femme, et je crois qu’elle avait un peu de sang bohémien dans les veines. N’importe comment, il était assez chaud quand elle était excitée.

— Mais elle fut acquittée.

— M. Jaggers était pour elle, continua Wemmick avec un regard plein de signification, et il plaida sa cause d’une manière tout à fait surprenante. C’était une cause désespérée. Il n’était alors comparativement qu’un commençant, et sa plaidoirie fit l’admiration de tout le monde ; de fait, on peut presque dire que c’est cette affaire qui l’a posé. Il la plaida lui-même au bureau de police, jour par jour, pendant longtemps, luttant même contre le renvoi devant le tribu-