Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 2.djvu/240

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Elle se tordait les mains, elle arrachait ses cheveux blancs et elle répétait ce cri sans cesse et toujours :

« Qu’ai-je fait !… qu’ai-je fait !… »

Je ne savais que lui répondre ni comment la consoler. Qu’elle eût fait une chose horrible en prenant une enfant impressionnable pour la former dans le moule où son furieux ressentiment, son amour dédaigné et son orgueil blessé trouvaient une vengeance, je le savais parfaitement ; qu’en repoussant la lumière du soleil, elle avait repoussé infiniment plus ; que, dans la retraite où elle s’était confinée, elle s’était privée de mille influences naturelles et salutaires ; que son esprit, entretenu dans la solitude, fût devenu affecté comme le sont et doivent l’être et le seront tous les esprits qui renversent l’ordre indiqué par leur Créateur : je le savais également bien. Et cependant pouvais-je la regarder sans compassion, en voyant son châtiment et le malheur dans lequel elle se trouvait, et sa profonde incapacité de vivre sur cette terre où elle était placée, dans la vanité de la douleur qui était devenue chez elle une monomanie, comme la vanité de la pénitence, la vanité du remords, la vanité de l’indignité et tant d’autres monstrueuses vanités qui ont été des malédictions en ce monde ?

« Jusqu’au moment où vous lui avez parlé l’autre jour, et où j’ai vu en vous, dans une glace qui me montrait ce que j’avais autrefois souffert moi-même, je ne sais pas ce que j’ai fait… Qu’ai-je fait !… Qu’ai-je fait !… »

Et elle répéta ces mots vingt fois, cinquante fois de suite.

« Miss Havisham, dis-je, quand son cri s’éteignit, vous pouvez m’éloigner de votre esprit et de votre conscience ; mais pour Estelle c’est tout différent, et si