Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 2.djvu/241

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vous pouvez diminuer un peu le mal que vous lui avez fait, en changeant une partie de sa véritable nature, il vaut mieux le faire que de vous lamenter sur le passé pendant cent ans.

— Oui ! oui ! je le sais ; mais Pip… mon cher Pip !… — Il y avait un élan de compassion toute féminine dans sa nouvelle affection pour moi — Mon cher Pip, croyez bien que lorsqu’elle est venue à moi, je voulais la sauver d’un malheur semblable au mien. D’abord, je ne voulais rien de plus.

— Bien ! bien ! dis-je, je l’espère.

— Mais lorsqu’elle a grandi en promettant d’être belle, j’ai peu à peu fait pire, et avec mes louanges, avec mes bijoux, avec mes leçons et avec ce fantôme de moi-même, toujours devant elle pour l’avertir de bien profiter de mes leçons, je lui dérobai son cœur et mis de la glace à sa place.

— Mieux eût valu, ne pus-je m’empêcher de dire, lui laisser son cœur naturel, quand il aurait dû être meurtri et brisé. »

Sur ce, miss Havisham me regarda d’un air distrait pendant un moment, puis elle reprit encore :

« Qu’ai-je fait !… qu’ai-je fait !… Si vous saviez mon histoire, dit-elle, vous auriez un peu pitié de moi et vous me comprendriez mieux.

— Miss Havisham, répondis-je aussi délicatement que je pus le faire, je crois pouvoir dire que je pense connaître votre histoire, et je l’ai connue depuis la première fois que j’ai quitté ce pays. Elle m’a inspiré une grande compassion, et je crois la comprendre, ainsi que ses influences. Ce qui s’est passé entre nous m’autorise-t-il à vous adresser une question relative à Estelle, non sur ce qu’elle est, mais sur ce qu’elle était, quand elle vint ici pour la première fois ?