Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 2.djvu/335

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J’essayai de me lever et de m’habiller ; puis, quand je levai les yeux sur eux, je vis qu’ils se tenaient à quelque distance de mon lit et me regardaient. Je restai à ma place.

« Vous voyez mon état, dis-je, j’irais avec vous si je le pouvais ; mais, en vérité, j’en suis tout à fait incapable. Si vous m’enlevez d’ici, je crois que je mourrai en chemin. »

Peut-être répondirent-ils ou discutèrent-ils sur la situation ; autant qu’il m’en souvient, ils essayèrent de m’encourager à croire que j’étais moins mal que je ne pensais ; mais je ne sais pas ce qu’ils firent, si ce n’est qu’ils s’abstinrent de m’emmener.

Ce qui n’était que trop certain, c’est que j’avais la fièvre, que j’étais anéanti, que je souffrais beaucoup, que je perdais souvent la raison, que le temps me semblait d’une longueur démesurée, que je confondais des existences impossibles avec la mienne propre, que j’étais une des briques de la muraille, et que je suppliais qu’on m’ôtât de la place gênante où l’on m’avait mis, que j’étais l’arbre d’acier d’une vaste machine, tournant avec fracas sur un abîme, et encore que j’implorais pour mon compte personnel qu’on arrêtât la machine, et qu’à coups de marteau on séparât la part que j’y avais. Que j’aie passé par ces phases de la maladie, je le sais, parce que je m’en souviens et qu’en quelque sorte je le savais au moment même. Que j’aie lutté avec des personnes réelles, croyant avoir affaire à des assassins, et que j’aie compris tout d’un coup qu’elles me voulaient du bien, après quoi je tombais épuisé dans leurs bras et les laissais me remettre au lit, je le savais aussi en revenant à la connaissance de moi-même. Mais, par-dessus tout, je savais que chez tous ceux qui m’avaient entouré pendant ma maladie, et que j’avais cru