Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 2.djvu/358

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l’exercice de ses fonctions journalières avant qu’elle m’aperçût, et cet espoir était déçu.

Mais la forge n’était pas loin, et je m’y rendis en passant sous l’allée verte des beaux tilleuls, écoutant le bruit du marteau de Joe. Longtemps après que j’aurais dû l’entendre, et longtemps après que je m’étais imaginé l’entendre, je vis que ce n’était qu’une idée : tout était calme, les tilleuls étaient là comme autrefois, les aubépines et les châtaigniers y étaient aussi, et leurs feuilles faisaient entendre un harmonieux frémissement quand je m’arrêtais pour écouter ; mais les coups de marteau de Joe ne se mêlaient pas à la brise de l’été. Effrayé sans savoir pourquoi d’arriver en vue de la forge, je la vis enfin, et je vis aussi qu’elle était fermée. Pas de réverbération de feu, pas de pluie d’étincelles, pas de ronflements des soufflets, tout était fermé et tranquille.

Mais la maison n’était pas déserte et le petit salon semblait être occupé, car ses rideaux voltigeaient à la fenêtre, qui était ouverte et égayée par les fleurs. Je m’en approchai sans bruit, avec l’intention de regarder par-dessus les fleurs, quand je vis Joe et Biddy devant moi, bras dessus bras dessous.

Biddy poussa d’abord un cri comme si elle pensait que c’était mon esprit ; mais un moment après elle était dans mes bras. Je pleurais de la voir, et elle pleurait de me voir : moi parce qu’elle avait l’air si frais et charmant ; elle parce que j’avais l’air si fatigué et si pâle.

« Chère Biddy, comme tu es contente !

— Oui, cher Pip.

— Et Joe, comme vous êtes heureux !

— Oui, cher vieux Pip, mon bon camarade ! »

Je portais mes yeux de l’un à l’autre, et puis…