Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 1.djvu/381

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rien dire pour vous vexer, jeune homme, mais votre maître est une vieille brute, et je désire que je l’eusse ici pour lui dire à lui-même.

— Je désire que vous l’eussiez, répondit Sam.

— C’est terrible de voir comme elle dépérit et qu’elle ne prend plaisir à rien, excepté quand ses amies viennent, par pure charité, pour causer avec elle et la rendre confortable, reprit mistress Cluppins en jetant un coup d’œil au poêlon et au fromage. C’est choquant.

— Barbaresque ! ajouta mistress Sanders.

— Et votre maître, qu’est un homme d’argent, qui ne s’apercevrait tant seulement pas de la dépense d’une femme. Il n’a pas l’ombre d’une excuse. Pourquoi ne l’épouse-t-il pas ?

— Ah ! dit Sam. Bien sûr, voilà la question.

— Certainement, qu’elle lui demanderait la question, si elle avait autant de courage que moi, poursuivit mistress Cluppins avec grande volubilité. Quoi qu’il en soit, il y a une loi pour nous autres femmes, malgré que les hommes voudraient nous rendre comme des esclaves. Et votre maître saura ça à ses dépens, jeune homme, avant qu’il soit plus vieux de six mois. »

À cette consolante réflexion, mistress Cluppins se redressa, et sourit à mistress Sanders, qui lui renvoya son sourire.

« L’affaire marche toujours, » pensa Sam, tandis que mistress Bardell rentrait avec le reçu.

— Voilà le reçu, monsieur Weller, dit l’aimable veuve, et voilà votre reste. J’espère que vous prendrez quelque chose pour vous tenir l’estomac chaud, quand ça ne serait qu’à cause de la vieille connaissance… »

Sam vit l’avantage qu’il pouvait gagner, et accepta sur-le-champ. Aussitôt mistress Bardell tira d’une petite armoire une bouteille avec un verre ; et sa profonde affliction la préoccupait tellement qu’après avoir rempli le verre de Sam, elle aveignit encore trois autres verres et les remplit également.

« Ah ça ! mistress Bardell, s’écria mistress Cluppins, voyez ce que vous avez fait !

— Eh bien ! en voilà une bonne ! éjacula mistress Sanders.

— Ah ! ma pauvre tête ?  » fit mistress Bardell, avec un faible sourire.

Sam, comme on s’en doute bien, comprit tout cela. Aussi