Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 2.djvu/116

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— La proclamation ? Non. Quelle proclamation ? repartit le prince, car il n’avait voyagé que par les chemins de traverse, et ne savait rien de ce qui se passait sur les grandes routes, telles qu’elles étaient alors.

— En bien ! dit le paysan, la demoiselle étrangère que le prince désirait épouser, s’est mariée à un noble étranger de son pays, et le roi proclame le fait et ordonne de grandes réjouissances publiques, car maintenant, sans nul doute, le prince Bladud va revenir, pour épouser la princesse que son père a choisie, et qui, dit-on, est aussi belle que le soleil de midi. À votre santé, monsieur, Dieu sauve le roi ! »

« Le prince n’en voulut pas entendre davantage. Il s’enfuit et s’enfonça dans les lieux les plus déserts d’un bois voisin. Il errait, il errait sans cesse, le jour et la nuit, sous le soleil dévorant, sous les pâles rayons de la lune, malgré la chaleur de midi, malgré les nocturnes brouillards ; à la lueur grisâtre du matin, à la rouge clarté du soir : si désolé, si peu attentif à toute la nature, que, voulant aller à Athènes, il se trouva un matin à Bath, c’est-à-dire qu’il se trouva dans l’endroit où la ville existe maintenant, car il n’y avait point alors de vestige d’habitation, pas de trace d’hommes, pas même de fontaine thermale. En revanche, c’étaient le même paysage charmant, la même richesse de coteaux et de vallées, le même ruisseau qui coulait avec un doux murmure, les mêmes montagnes orgueilleuses qui, semblables aux peines de la vie quand elles sont vues à distance et partiellement obscurcies par la brume argentée du matin, perdent leur sauvagerie et leur rudesse, et ne présentent aux yeux que de doux et gracieux contours. Ému par la beauté de cette scène, le prince se laissa tomber sur le gazon, et baigna de ses larmes ses pieds enflés par la fatigue.

« Oh ! s’écria-t-il en tordant ses mains, et en levant tristement sas yeux au ciel ; oh ! si ma course fatigante pouvait se terminer ici ! Oh ! si ces douces larmes, que m’arrache un amour mal placé, pouvaient couler en paix pour toujours ! »

« Son vœu fut entendu. C’était le temps des divinités païennes, qui prenaient parfois les gens au mot, avec un empressement fort gênant. Le sol s’ouvrit sous les pieds du prince, il tomba dans un gouffre, qui se referma immédiatement au-dessus de sa tête ; mais ses larmes brûlantes continuèrent à couler, et continueront pour toujours à sourdre abondamment de la terre.

« Il est remarquable que, depuis lors, un grand nombre de