Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 2.djvu/16

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Je glissais autrefois, quand j’étais enfant ; sur les ruisseaux.

— Essayez maintenant.

— Oh ! oui, monsieur Pickwick, s’il vous plaît ! s’écrièrent toutes les dames.

— Je serais enchanté de vous procurer quelque amusement, repartit le philosophe, mais il y a plus de trente ans que je n’ai glissé !

— Bah ! bah ! enfantillage, reprit M. Wardle, en ôtant ses patins avec l’impétuosité qui le caractérisait. Allons ! je vous tiendrai compagnie ; venez ! »

Et en effet le joyeux vieillard s’élança sur la glissade avec une rapidité digne de Sam Weller, et qui enfonçait complètement le gros joufflu.

M. Pickwick le contempla un instant d’un air réfléchi, ôta ses gants, les mit dans son chapeau, prit son élan deux ou trois fois sans pouvoir partir, et à la fin, après avoir couru sur la glace la longueur d’une centaine de pas, se lança sur la glissade et la parcourut lentement et gravement, avec ses jambes écartées de deux ou trois pieds. L’air retentissait au loin des applaudissements des spectateurs.

« Il ne faut pas laisser à la marmite le temps de se refroidir, monsieur, » cria Sam ; et le vieux Wardle s’élança de nouveau sur la glissade, suivi de M. Pickwick, puis de Sam, puis de M. Winkle, et puis de M. Bob Sawyer, puis du gros joufflu, et enfin de M. Snodgrass ; chacun glissant sur les talons de son prédécesseur, tous courant l’un après l’autre avec autant d’ardeur que si le bonheur de toute leur vie avait dépendu de leur vélocité.

La manière dont M. Pickwick exécutait son rôle dans cette cérémonie, offrait un spectacle du plus haut intérêt. Avec quelle anxiété, avec quelle torture, il s’apercevait que son successeur gagnait sur lui, au risque imminent de le renverser ! Arrivé à la fin de la glissade, avec quelle satisfaction il se relâchait graduellement de la crispation pénible qu’il avait déployée d’abord, et, tournant sur lui-même, dirigeait son visage vers le point d’où il était parti ! Quel jovial sourire se jouait sur ses lèvres quand il avait accompli sa distance, quel empressement pour reprendre son rang et pour courir après son prédécesseur ! Ses guêtres noires trottaient gaiement à travers la neige ; ses yeux rayonnaient de gaieté derrière ses lunettes, et quand il était renversé (ce qui arrivait en moyenne