Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 2.djvu/17

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une fois sur trois tours), quel plaisir de lui voir ramasser vivement son chapeau, ses gants, son mouchoir, et reprendre sa place avec une physionomie enflammée, avec une ardeur, un enthousiasme que rien ne pouvait abattre !

Le jeu s’échauffait de plus en plus ; on glissait de plus en plus vite ; on riait de plus en plus fort, quand un violent craquement se fit entendre. On se précipite vers le bord ; les dames jettent un cri d’horreur ; M. Tupman y répond par un gémissement ; un vaste morceau de glace avait disparu ; l’eau bouillonnait par-dessus ; le chapeau, les gants, le mouchoir de M. Pickwick flottaient sur la surface : c’était tout ce qui restait de ce grand homme.

La crainte, le désespoir étaient gravés sur tous les visages. Les hommes pâlissaient, les femmes se trouvaient mal ; M. Snodgrass et M. Winkle s’étaient saisis convulsivement par la main, et contemplaient d’un œil effaré la place où avait disparu leur maître ; tandis que M. Tupman, emporté par le désir de secourir efficacement son ami, et de faire connaître, aussi clairement que possible, aux personnes qui pourraient se trouver aux environs, la nature de la catastrophe, courait à travers champs comme un possédé, en criant de toute la force de ses poumons : « Au feu ! au feu ! au feu ! »

Cependant le vieux Wardle et Sam Weller s’approchaient avec prudence de l’ouverture ; M. Benjamin Allen et M. Bob Sawyer se consultaient sur la convenance qu’il y aurait à saigner généralement toute la compagnie, afin de s’exercer la main, lorsqu’une tête et des épaules sortirent de dessous les flots et offrirent aux regards enchantés des assistants les traits et les lunettes de M. Pickwick.

« Soutenez-vous sur l’eau un instant, un seul instant, vociféra M. Snodgrass.

— Oui ! hurla M. Winkle, profondément ému ; je vous en supplie, soutenez-vous sur l’eau, pour l’amour de moi ! »

Cette adjuration n’était peut-être pas fort nécessaire ; car, suivant toutes les apparences, si M. Pickwick avait pu se soutenir sur l’eau, il n’aurait pas manqué de le faire pour l’amour de lui-même.

« Eh ! vieux camarade, dit M. Wardle, sentez-vous le fond ?

— Oui, certainement, répondit M. Pickwick, en respirant longuement et en pressant ses cheveux pour en faire découler l’eau ; je suis tombé sur le dos, et je n’ai pas pu me remettre tout de suite sur mes jambes. »