Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 2.djvu/25

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En parlant ainsi, Sam fit avec sa manche une petite friction sur sa paupière gauche, à l’instar des meilleurs acteurs quand ils exécutent du pathétique bourgeois.

M. Jackson paraissait quelque peu intrigué par les manières de Sam ; mais, comme il avait remis les citations et n’avait plus rien à dire, il fit la feinte de mettre le gant unique qu’il portait ordinairement dans sa main, pour sauver les apparences, et retourna à son étude rendre compte de sa mission.

M. Pickwick dormit peu cette nuit-là. Sa mémoire avait été désagréablement rafraîchie au sujet de l’action Bardell. Il déjeuna de bonne heure le lendemain, et ordonnant à Sam de l’accompagner, se mit en route pour Gray’s Inn Square.

Au bout de Cheapside, M. Pickwick, dit en regardant derrière lui :

« Sam !

— Monsieur, fit Sam en s’avançant auprès de son maître.

— De quel côté ?

— Par Newgate-Street, monsieur. »

M. Pickwick ne se remit pas immédiatement en route, mais pendant quelques secondes il regarda d’un air distrait le visage de Sam et poussa un profond soupir.

« Qu’est-ce qu’il y a, monsieur ?

— Ce procès, Sam ; il doit arriver le 14 du mois prochain.

— Remarquable coïncidence, monsieur.

— Quoi de remarquable, Sam ?

— Le jour de la saint Valentin[1], monsieur. Fameux jour pour juger une violation de promesse de mariage. »

Le sourire de Sam Weller n’éveilla aucun rayon de gaieté sur le visage de son maître, qui se détourna vivement et continua son chemin en silence.

Depuis quelque temps, M. Pickwick, plongé dans une profonde méditation, trottait en avant et Sam suivait par derrière, avec une physionomie qui exprimait la plus heureuse et la plus enviable insouciance de chacun et de chaque chose ; tout à coup, Sam, qui était toujours empressé de communiquer à son maître les connaissances spéciales qu’il possédait, hâta le pas jusqu’à ce qu’il fût sur les talons de M. Pickwick, et, lui montrant une maison devant laquelle ils passaient, lui dit :

« Une jolie boutique de charcuterie, ici, monsieur.

  1. Jour où un grand nombre d’amoureux et d’amoureuses s’adressent, sous le voile de l’anonyme, des déclarations sérieuses ou ironiques.