Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 2.djvu/295

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tenu, pour le moins, jusqu’à deux heures et demie. Je crois donc pouvoir affirmer que mon oncle tomba dans cette espèce d’assoupissement, sans avoir pensé à rien du tout.

Quoi qu’il en soit, l’horloge de l’église sonna deux heures. Mon oncle s’éveilla, frotta ses yeux, et sauta sur ses pieds, d’étonnement.

En un instant, dès que l’horloge eut sonné deux heures, cet endroit désert et abandonné devint plein de vie et d’activité. Les portières furent remises sur leurs gonds, les garnitures restaurées, les boiseries repeintes, les lampes allumées. Des coussins, des houppelandes étaient placés sur chaque siége ; les porteurs fourraient des paquets dans chaque coffre ; les gardes rangeaient les sacs de lettres ; les palefreniers jetaient des seaux d’eau sur les roues renouvelées ; une quantité d’hommes se précipitaient de toutes parts, fixant des timons à chaque voiture. Les passagers arrivaient ; les porte manteaux étaient emballés ; les chevaux attelés ; enfin il devenait évident que chaque malle allait partir sans retard. Gentlemen, mon oncle ouvrait de si grands yeux, en voyant tout cela, que jusqu’au dernier moment de sa vie, il ne pouvait s’expliquer comment il avait jamais été capable de les refermer.

« Allons, allons ! dit une voix à côté de mon oncle, en même temps qu’il sentait une main se poser sur son épaule ; vous êtes inscrit pour un intérieur, il est temps de monter.

— Moi inscrit ! s’écria mon oncle en se retournant.

— Oui, certainement. »

Mon oncle, gentlemen ne put rien dire, tant il était étonné. La plus drôle de chose était que, quoiqu’il y eût là un si grand nombre de personnes, et quoique de nouveaux visages arrivassent à chaque instant, on ne pouvait pas dire d’où ils venaient ; ils semblaient sortir mystérieusement de sous terre ou de l’air, et disparaître de la même manière. Dès qu’un commissionnaire avait mis son bagage dans la voiture et reçu son pourboire, il se retournait, et crac, il avait disparu ! Avant que mon oncle eût eu le temps de s’inquiéter de ce qu’il était devenu, une demi-douzaine d’autres apparaissaient, chancelant sous le poids de paquets qui paraissaient assez gros pour les écraser. Une autre singularité, c’est que les voyageurs étaient tous habillés d’une manière étrange. Ils avaient de grands habits brodés, avec de larges basques, d’énormes parements, et pas de collets : enfin ils portaient de vastes perruques, avec un sac par derrière. Mon oncle n’y pouvait rien comprendre.