Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 2.djvu/304

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— Mon brave libérateur, mon excellent, mon cher libérateur !

— Ne me dites donc pas de ces choses-là !

— Pourquoi pas ?

— Parce que votre bouche est si séduisante quand vous parlez que j’ai peur d’être assez impertinent pour la baiser. »

La jeune femme leva sa main comme pour avertir mon oncle de n’en rien faire et dit… non, elle ne dit rien, elle sourit. Quand vous regardez une paire de lèvres les plus délicieuses du monde, et quand elles s’épanouissent doucement en un sourire fripon, si vous êtes assez près d’elles et sans témoin, vous ne pouvez mieux témoigner votre admiration de leur forme et de leur couleur charmante qu’en les baisant : c’est ce que fit mon oncle, et je l’honore pour cela.

« Écoutez, s’écria la jeune dame en tressaillant, entendez-vous le bruit des roues et des chevaux ?

— C’est vrai, » dit mon oncle en se baissant.

Il avait l’oreille fine et était habitué à reconnaître le roulement des voitures ; mais celles qui s’approchaient vers eux paraissaient si nombreuses et faisaient tant de fracas qu’il lui fut impossible d’en deviner le nombre. Il semblait qu’il y eût cinquante carrosses emportés chacun par six chevaux.

« Nous sommes poursuivis ! s’écria la jeune dame en tordant ses mains. Nous sommes poursuivis ! Je n’ai plus d’espoir qu’en vous seul ! »

Il y avait une telle expression de terreur sur son charmant visage que mon oncle se décida tout d’un coup. Il la porta dans la voiture, lui dit de ne pas s’effrayer, pressa encore une fois ses lèvres sur les siennes, et l’ayant engagée à lever les glaces pour se préserver du froid, monta sur le siége.

« Attendez, mon sauveur, dit la jeune lady.

— Qu’est-ce qu’il y a ? demanda mon oncle de son siége.

— Je voudrais vous parler. Un mot, un seul mot, mon chéri !

— Faut-il que je descende ? » demanda mon oncle.

La jeune dame ne fit pas de réponse, mais elle sourit encore, et d’un si joli sourire, gentlemen, qu’il enfonçait l’autre complétement. Mon oncle fut par terre en un clin d’œil.

« Qu’est-ce qu’il y a ma chère ? » dit-il en mettant la tête à la portière.

La dame s’y penchait en même temps par hasard, et elle lui parut plus belle que jamais. Il était fort près d’elle dans ce moment-là ; ainsi il ne pouvait pas se tromper.

« Qu’est-ce qu’il y a, ma chère ? demanda mon oncle.