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Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 2.djvu/305

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— Vous n’aimerez jamais d’autre femme que moi ? Vous n’en épouserez jamais d’autre ? »

Mon oncle jura ses grands dieux qu’il n’épouserait jamais une autre femme, et la jeune lady retira sa tête et releva la glace.

Mon oncle s’élança de nouveau sur le siége, équarrit ses coudes, ajusta les rênes, prit le fouet sur l’impériale, le fit claquer savamment, et en route ! Les quatre chevaux noirs à tout crin s’élancèrent avec la vieille malle derrière eux, dévorant quinze bons milles en une heure. Brrr ! brrrr ! comme ils galopaient !

Pourtant le bruit des voitures devenait plus fort par derrière. Le vieux carrosse avait beau aller vite, ceux qui le poursuivaient allaient plus vite encore. Les hommes, les chevaux, les chiens, semblaient ligués pour l’atteindre ; le fracas était épouvantable, mais par-dessus tout s’élevait la voix de la jeune dame, excitant mon oncle, et lui criant : « Plus vite ! plus vite ! plus vite ! »

Ils volaient comme l’éclair. Les arbres sombres, les meules de foin, les maisons, les églises, tous les objets fuyaient à droite et à gauche, comme des brins de paille emportés par un ouragan. Leurs roues retentissaient comme un torrent qui déchire ses digues, et pourtant le bruit de la poursuite devenait plus fort, et mon oncle entendait encore la jeune lady crier d’une voix déchirante : « Plus vite ! plus vite ! plus vite ! »

Mon oncle employait le fouet et les rênes, et les chevaux détalaient avec tant de rapidité, qu’ils étaient tout blancs d’écume, et cependant la jeune dame criait encore : « Plus vite ! plus vite ! » Dans l’excitation du moment, mon oncle donna un violent coup sur le marchepied avec le talon de sa botte… et il s’aperçut que l’aube blanchissait, et qu’il était assis sur le siége d’une vieille malle d’Édimbourg, dans l’enclos du carrossier, grelottant de froid et d’humidité, et frappant ses pieds pour les réchauffer. Il descendit avec empressement, et chercha la charmante jeune lady dans l’intérieur… Hélas ! il n’y avait ni portière, ni coussin à la voiture, c’était une simple carcasse.

Mon oncle vit bien qu’il y avait là-dessous quelque mystère, et que tout s’était passé exactement comme il avait coutume de le raconter. Il resta fidèle au serment qu’il avait fait à la jeune dame, refusa, pour l’amour d’elle, plusieurs maîtresses d’auberge, fort désirables, et mourut garçon à la fin. Il faisait souvent remarquer quelle drôle de chose c’était qu’il