Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 2.djvu/335

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

ciel ! Du secours ! Sam ! ici. Je vous en supplie, messieurs… Aidez-moi donc à les séparer ! »

Tout en prononçant ces exclamations incohérentes, M. Pickwick s’était précipité entre les deux combattants, juste à temps pour recevoir, sur ses épaules, le sac de nuit d’un côté et la pelle de l’autre. Soit que les organes de l’opinion publique d’Eatanswill fussent aveuglés par leur animosité, soit qu’étant tous deux de subtils raisonneurs, ils eussent vu l’avantage d’avoir entre eux un tiers parti pour recevoir les coups, il est certain qu’ils ne firent pas la plus légère attention au philosophe, mais que, se défiant mutuellement avec audace, ils continuèrent à employer la pelle et le sac de nuit. M. Pickwick aurait sans doute cruellement souffert de son trop d’humanité, si Sam, attiré par les cris de son maître, n’était pas accouru en cet instant, et, saisissant un sac à farine, n’avait pas efficacement arrêté le conflit en l’enfonçant sur la tête et sur les épaules du puissant Pott, et en le serrant au-dessous des coudes.

« Ôtez le sac de nuit à l’autre enragé ! cria-t-il en même temps, à MM. Ben Allen et Bob Sawyer qui jusqu’alors s’étaient contentés de voltiger autour des combattants, une lancette à la main, prêts à saigner le premier individu étourdi. Lâchez votre sac, misérable petite créature, ou je vous étouffe là dedans ! »

Intimidé par cette menace, et d’ailleurs tout à fait hors d’haleine, l’Indépendant consentit à se laisser désarmer. Sam ôta alors l’éteignoir qu’il tenait sur Pott, et le laissa libre en lui disant : « Allez vous coucher tranquillement, ou bien je vous mettrai tous les deux dans le sac, je le fermerai, et je vous laisserai battre dedans à votre aise. Et quand vous seriez douze, je vous en ferais autant, pour vous apprendre à vous conduire de la sorte !

— Vous, monsieur, continua-t-il en s’adressant à son maître, ayez la bonté de venir par ici, s’il vous plaît. »

En parlant ainsi il prit M. Pickwick par le bras et l’emmena, tandis que les éditeurs rivaux étaient conduits vers leurs lits par l’aubergiste, sous l’inspection de MM. Ben Allen et Bob Sawyer. Chemin faisant, les deux combattants exhalaient encore leur courroux en menaces sanguinaires, et se donnaient de vagues et féroces rendez-vous pour le lendemain. Toutefois, quand ils y eurent mieux pensé, ils trouvèrent que la presse était l’arme la plus redoutable : ils recommencèrent