Page:Dickens - Magasin d Antiquités, trad Des Essarts, Hachette, 1876, tome 1.djvu/152

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Enfin, le déjeuner étant terminé, M. Codlin demanda la carte à payer ; et, ayant mis l’ale au compte de toute la compagnie, procédé qui sentait aussi la misanthropie, il divisa le total en deux parties exactement égales : la moitié pour lui et son ami, l’autre pour Nelly et son grand-père. Tout étant bien et dûment réglé, et les préparatifs du départ terminés, ils prirent congé de l’hôte et de l’hôtesse et se remirent en route.

C’est ici qu’apparut au grand jour la fausse position de M. Codlin dans la société, et l’effet qu’elle devait produire sur son esprit ulcéré ; car, tandis que, la veille au soir, il avait été salué par Polichinelle du nom de « mon maître, » titre bourgeois qui pouvait faire croire à l’assemblée qu’il entretenait ce personnage à son compte pour sa satisfaction personnelle, maintenant il lui fallait marcher péniblement sous le poids du théâtre de ce même personnage, et le porter corporellement sur ses épaules par une chaleur étouffante, le long d’une route couverte de poussière. Ce brillant Polichinelle, au lieu d’amuser son patron par un feu roulant d’esprit ou par un déluge de coups de bâton assenés sur la tête de ses parents et connaissances, était maintenant éreinté, plié en deux, flasque et mou, étendu dans une boîte fermée, ses jambes relevées autour de son cou en forme de cravate, entièrement dénué de ces qualités sociales qui font le charme de son caractère.

M. Codlin s’avançait péniblement, échangeant de temps à autre un mot ou deux avec Short, et s’arrêtant pour se reposer et murmurer par occasion. Short ouvrait la marche avec la boîte plate, son bagage particulier arrangé en paquet (le paquet n’était pas très-gros), et une trompette de cuivre pendue sur son dos. Nell et son grand-père venaient après lui se donnant la main, et Thomas Codlin fermait la marche.

Lorsqu’ils arrivaient à un bourg ou à quelque village, ou même près d’une maison isolée de bonne apparence, Short soufflait dans sa trompette et jouait un fragment de fanfare sur ce ton grotesque tout particulier à Polichinelle et compagnie. Si l’on se montrait aux fenêtres, M. Codlin dressait le théâtre : il dépliait à la hâte les draperies, en couvrait Short, préludait avec chaleur sur la flûte de Pan, et jouait un air. Alors le spectacle commençait le plus tôt possible. À M. Codlin il appartenait de décider de la durée de la représentation, et d’allonger ou de rapprocher le moment où le héros devait finalement triompher