Page:Dickens - Magasin d Antiquités, trad Des Essarts, Hachette, 1876, tome 1.djvu/247

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Nelly en venait à se persuader que Quilp avait enlevé tel personnage de cire pour se mettre à sa place et prendre ses vêtements. Ces figures avaient de grands yeux de verre ; placées l’une derrière l’autre tout autour du lit de l’enfant, elles ressemblaient tant à des personnes naturelles, et en même temps elles différaient tellement de la vie par leur sinistre immobilité et leur silence, que Nelly en avait souvent une sorte de frayeur, et qu’il lui arrivait fréquemment, étant couchée, de ne pouvoir détacher ses yeux de ces fantômes sombres, au point d’être obligée de se lever et d’allumer une chandelle, ou d’aller s’asseoir à la fenêtre ouverte et chercher la compagnie des étoiles pour n’être pas seule. Dans ces moments-là elle évoquait le souvenir de la vieille maison et de la fenêtre à laquelle autrefois elle avait l’habitude d’être assise dans sa solitude ; et alors elle songeait au pauvre Kit et à son dévouement, et des larmes mouillaient ses yeux, et elle pleurait et souriait tout à la fois.

À cette heure de silence, souvent aussi et avec non moins d’anxiété, sa pensée se reportait sur son grand-père ; et tout en admirant comme il se rappelait leur vie précédente, elle se demandait si réellement il avait conscience du changement de leur condition et du dénûment cruel par lequel ils avaient récemment passé. Lorsqu’ils suivaient leur course errante, elle avait rarement eu cette idée ; mais maintenant, elle ne pouvait s’empêcher de se dire : « Qu’est-ce qui arriverait s’il allait tomber malade, ou si les forces venaient à me manquer ? » Il était plein de zèle et de bonne volonté, heureux de faire quelque petite chose et satisfait de pouvoir se rendre utile ; mais il avait conservé sa même insouciance. Pas la moindre espérance d’amélioration. Un véritable enfant, une pauvre créature sans idée, sans ressort, un bon vieillard sans fiel, ayant une tendresse pleine d’égards, pour sa petite-fille, pouvant éprouver des impressions, soit agréables, soit pénibles, mais mort à tout le reste. Nelly s’affligeait de son état ; elle s’affligeait de le voir quelquefois s’asseoir près d’elle à rien faire, occupé seulement de lui sourire avec un signe de tête lorsqu’elle tournait vers lui son regard ; ou bien caresser quelque petit enfant, le promener des heures entières, embarrassé de ses questions enfantines, mais toujours patient par le sentiment instinctif de sa propre décadence, humilié même devant l’esprit d’un nouveau-né. Tout cela affligeait tant Nelly, qu’elle fondait en larmes et se retirait dans