Page:Dickens - Magasin d Antiquités, trad Des Essarts, Hachette, 1876, tome 1.djvu/261

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tout à l’heure n’était rien, en comparaison de celle qui l’accablait maintenant. Un voleur étranger, un aubergiste infidèle, complice du vol fait à ses hôtes, ou même se glissant jusqu’à leurs lits pour les tuer au sein de leur sommeil, un brigand nocturne, quelque terrible, quelque cruel qu’il pût être n’eût pas éveillé dans son cœur la moitié de la crainte qu’elle éprouva en reconnaissant son visiteur mystérieux. Ce vieillard à la tête blanche, rampant comme un fantôme dans sa chambre, pour y commettre un vol, profitant pour cela du sommeil supposé de sa petite-fille, puis emportant son butin et le couvant des yeux avec la joie sauvage dont Nelly venait d’être témoin, c’était plus affreux, bien plus affreux, bien plus triste à songer, que tout ce que son imagination aurait pu rêver de plus effrayant. S’il allait revenir ! … car il n’y avait ni serrure ni verrou à la porte… Si, craignant d’avoir laissé quelque argent derrière lui, il revenait faire de nouvelles recherches ! … Une terreur vague, un sentiment d’horreur accompagnaient l’idée qu’il pourrait se glisser encore furtivement dans la chambre et tourner son visage vers le lit inoccupé, pendant qu’elle se blottirait encore au pied pour éviter son contact. Oh ! cette idée n’était pas supportable.

Nelly s’assit et prêta l’oreille.

Chut ! … un pas résonne sur l’escalier, la porte s’ouvre doucement…

Non, ce n’était que pure imagination ; mais l’imagination avait chez Nelly toutes les terreurs de la réalité. C’était pis, car la réalité eût eu sa fin comme son commencement, tandis que dans son imagination c’était une vision qui revenait toujours, et ne s’en allait jamais.

Le sentiment qui obsédait Nelly était une sorte d’horreur vague et indéfinie. À coup sûr, elle n’avait pas peur du bon vieux grand-père qui n’avait été frappé de cette maladie de l’esprit que par amour pour elle ; mais l’homme qu’elle avait vu cette nuit emporté par la fièvre d’un jeu de hasard, s’embusquant dans sa chambre, puis comptant l’argent dérobé à la faible lueur d’une chandelle, cet homme ne lui semblait plus le même ; ce n’était plus lui, ce n’était que sa monstrueuse parodie. N’y avait-il pas de quoi reculer de frayeur en songeant que cette caricature du vieillard s’était approchée tout près d’elle ! Elle ne pouvait pas associer dans sa pensée son compa-