Page:Dickens - Magasin d Antiquités, trad Des Essarts, Hachette, 1876, tome 1.djvu/90

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quelque chose, et, comme à mon âge, le cercle de mes derniers jours était circonscrit ; au jour où je songeai qu’il me faudrait abandonner l’enfant à la dure pitié du monde avec des ressources à peine suffisantes pour lui épargner les angoisses extrêmes de la pauvreté. Ah ! c’est alors que j’ai commencé !

— Est-ce après que vous m’eûtes chargé de faire passer la mer à votre délicieux petit-fils ?

— Ce fut peu de temps après. J’y avais pensé longtemps ; durant des mois entiers mon sommeil fut tout plein de cette idée. Alors je commençai. Je ne trouvais pas de plaisir à jouer, je n’en attendais aucun. Qu’est-ce que j’y ai gagné, sinon des jours d’anxiété, des nuits d’insomnie, sinon la perte de la santé et de la tranquillité d’âme ? Qu’y ai-je gagné ? la langueur et le chagrin.

— Oui, d’abord vous avez perdu vos ressources, puis vous êtes venu à moi. Tandis que je vous croyais en train de faire fortune, comme vous vous en vantiez, vous travailliez à vous transformer en un vil mendiant ! … Et c’est comme cela que je me trouve avoir dans mon portefeuille toutes les reconnaissances successives que vous m’avez griffonnées, avec un droit d’expropriation de votre fortune et de vos biens, dit Quilp debout, regardant tout autour de lui comme pour s’assurer qu’on n’avait distrait aucune valeur.

« Mais, ajouta-t-il, est-ce que vous n’avez jamais gagné ?

— Jamais. Non, jamais je n’ai couvert mes pertes.

— Je croyais, dit le nain d’un air moqueur, que si un homme jouait assez longtemps, il était sûr de finir par gagner ; ou, en mettant les choses au pis, de sortir du jeu sans perte.

— Et c’est la vérité, s’écria le vieillard échappant tout à coup à son état d’accablement pour passer au plus violent paroxysme ; c’est la vérité ; je l’ai éprouvé dès le premier jour ; je l’ai constamment reconnu ; j’ai vu cela ; je ne l’ai jamais mieux ressenti qu’en ce moment. Quilp, ces trois dernières nuits j’ai rêvé que je gagnais une somme considérable… Ce rêve, je n’avais jamais pu le faire, malgré tout mon désir et tous mes efforts. Ne m’abandonnez pas au moment où cette chance s’offre à moi. Je n’ai de ressource qu’en vous ; accordez-moi quelque assistance ; que par vous je puisse tenter ce dernier moyen d’espérance. »

Le nain haussa les épaules et secoua la tête.

« Voyez, Quilp, mon bon et généreux Quilp, dit encore le