Page:Dickens - Magasin d Antiquités, trad Des Essarts, Hachette, 1876, tome 2.djvu/137

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nœud, dérouler beaucoup plus de corde, sinon le seau se balance tendu et vide. Dix ans après, l’eau s’est retirée encore ; cela va jusqu’au troisième nœud. Dix ans de plus, et le puits s’est desséché ; et alors si vous descendez le seau jusqu’à ce que vos bras soient épuisés de fatigue et que vous ayez employé à peu près toute la corde, vous entendrez sur le sol au-dessous un cliquetis et un bruissement soudain, un son qui vous paraîtra si prolongé et si lointain, qu’il vous fera manquer le cœur, et que vous serez entraînée en avant comme si vous alliez tomber dans le puits.

— Quel endroit terrible pour y aller la nuit ! … s’écria l’enfant qui avait suivi si attentivement les regards et les paroles au fossoyeur, qu’elle se croyait au bord de l’abîme.

— Qu’est-ce que ce puits ? Un tombeau ! … reprit-il. Quoi de plus ? Tous nos vieillards le savent, et cependant lequel d’entre eux y songe, quand leur printemps s’est évanoui, quand la force leur manque, quand leur vie va déclinant ? pas un seul !

— N’êtes-vous pas très-âgé vous-même ? demanda involontairement l’enfant.

— J’aurai soixante-dix-neuf ans l’été prochain.

— Vous travaillez encore, quand vous êtes mieux portant ?

— Travailler ! certainement. Vous verrez près d’ici mes jardins. C’est moi qui ai arrangé, disposé en entier de mes mains tout le terrain. L’année prochaine, ce sera à peine si je pourrai apercevoir le ciel, tant mon feuillage sera devenu épais. Et puis j’ai ma besogne d’hiver aussi, le soir. »

En parlant ainsi, il ouvrit un buffet près duquel il était assis et il en tira quelques petites boîtes de vieux bois grossièrement sculptées.

« Des gentilshommes qui sont épris des temps anciens et de ce qui s’y rattache, dit-il, achètent volontiers ces échantillons de notre église et de nos ruines. Parfois je confectionne ces boîtes avec des débris de chêne que je trouve çà et là, parfois avec des restes de cercueils que les voûtes ont préservés longtemps de la destruction. Voyez ceci ; c’est un petit coffret de cette dernière matière, il est garni aux arêtes de fragments de plaques de cuivre sur lesquelles ont été gravées autrefois des inscriptions funèbres qu’on lirait bien difficilement aujourd’hui. À cette époque de l’année, je n’ai pas pour le moment beaucoup de ce bois, mais j’en aurai abondamment l’été prochain. »