Page:Dickens - Magasin d Antiquités, trad Des Essarts, Hachette, 1876, tome 2.djvu/297

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naître à la place et se reflétaient dans sa beauté tranquille, dans son repos inaltérable.

Et pourtant toute sa personne d’autrefois subsistait encore sans que ce changement l’eût en rien altérée. Le vieil air de famille, le même calme du coin du feu souriait encore sur ce doux visage ; il avait traversé comme un rêve les phases de la misère et de l’angoisse. Ce même air de douceur, de bonté affectueuse, il survivait, tel qu’il était par un soir d’été, à la porte du pauvre maître d’école ; par une froide nuit pluvieuse, devant le feu de la fournaise, ou bien au chevet du petit écolier mourant ; tels nous verrons les anges dans toute leur majesté… après la mort.

Le vieillard saisit un des bras inertes de Nell et appuya fortement, pour la réchauffer, la petite main contre sa poitrine. C’était la main qu’elle lui avait tendue en lui adressant son dernier sourire, la main avec laquelle elle le conduisait dans toutes leurs excursions. De temps en temps il la portait à ses lèvres, puis il la pressait de nouveau sur sa poitrine en disant à demi-voix qu’elle devenait plus chaude ; et tout en parlant ainsi il regardait avec désespoir ceux qui l’entouraient, comme pour implorer leur assistance en faveur de Nelly.

Elle était morte, elle n’avait plus besoin d’assistance. Les chambres d’autrefois qu’elle remplissait de vie même alors que sa vie allait déclinant si rapidement ; le jardin dont elle avait pris soin ; les yeux qu’elle avait charmés ; ses promenades silencieuses qu’elle avait visitées à plus d’une heure de rêverie ; les sentiers qu’elle semblait avoir foulés la veille encore ; rien de tout cela ne la reverrait plus.

Le maître d’école se baissa pour l’embrasser sur la joue, et donnant un libre cours à ses larmes :

« Ce n’est pas, dit-il, sur la terre que finit la justice du ciel. Pensez à ce que c’est que la terre, comparée au monde vers lequel cette jeune âme vient de prendre sitôt son essor ; et dites-nous ensuite, quand nous pourrions, par l’ardeur d’un vœu solennel prononcé près de ce lit, la rappeler à la vie, dites si quelqu’un de nous oserait le faire entendre ? »