Page:Dickens - Magasin d Antiquités, trad Des Essarts, Hachette, 1876, tome 2.djvu/309

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plus d’une fois deux misérables créatures se glisser à la nuit hors des réduits les plus reculés de Saint-Giles et cheminer le long des rues en traînant la savate, le corps tout courbé, scrutant les tas d’ordures et les ruisseaux comme pour y chercher quelque débris de nourriture, quelque rebut du souper de la veille. Jamais ces espèces de spectres n’apparaissaient que dans les nuits de froid et d’obscurité où ces terribles fantômes, ces images incarnées de la misère, du vice et de la famine, qui en tout autre temps se cachent dans les plus hideux repaires de Londres, sous les portes cochères, les voûtes sombres et dans les caves, s’aventurent à rôder dans les rues. Ceux qui avaient connu Sampson et Sally, disaient tout bas que ce devait être l’ex-procureur et sa sœur ; et il paraît qu’encore aujourd’hui on les voit quelquefois passer, la nuit, quand il fait bien noir, avec leur sale accoutrement, tout contre le passant, qui s’écarte avec dégoût.

On ne retrouva le corps de Quilp qu’au bout de quelques jours. Une enquête fut ouverte près de l’endroit où les flots l’avaient déposé. L’opinion générale fut que le nain s’était suicidé, et comme toutes les circonstances de sa mort paraissaient s’accorder avec cette présomption, le verdict fut rendu dans ce sens. Il fut enterré avec un pieu enfoncé au travers du cœur, au beau milieu d’un carrefour.

Cependant, le bruit courut plus tard que cette horrible et barbare pratique n’avait pas été mise à exécution et que les restes de Quilp avaient été secrètement rendus à Tom Scott. Sur ce point même, toutefois, les sentiments furent divisés, car plusieurs personnes prétendirent que Tom Scott avait déterré à minuit la dépouille de son maître et l’avait portée à un endroit indiqué d’avance par la veuve. Il est à présumer que ces deux histoires n’avaient pas d’autre fondement que les larmes versées par Tom, lors de l’enquête : et nous devons dire à ceux qui ne voudraient pas le croire, que le fait des larmes est véritable ; bien plus, Tom manifesta le plus vif désir d’aller donner une pile au jury. Voyant qu’on l’en empêchait et qu’on l’avait même chassé de la salle, il voulut du moins, par esprit de vengeance, en obscurcir l’unique croisée en se posant en éventail dans l’embrasure, la tête en bas, jusqu’à ce qu’un sergent de ville, qui ne badinait pas, le remit sur ses pieds lestement en lui faisant faire la culbute.