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NICOLAS NICKLEBY.

même, après avoir été prête, durant trois semaines, à huit heures et demie, et n’avoir vu venir personne ! — Ne vous dérangez pas, dit une voix connue de miss la Creevy ; j’ai dit à la servante de ne pas me nommer, parce que je désirais vous surprendre. — Monsieur Nicolas ! s’écria miss la Creevy stupéfaite. — Vous ne m’avez pas oublié, à ce que je vois ! répondit Nicolas en lui tendant la main. — Je crois que je vous aurais reconnu si je vous avais rencontré dans la rue… Anna, une autre tasse et une soucoupe… À propos, jeune homme, je vous prierai de ne pas réitérer l’impertinence dont vous vous êtes rendu coupable le matin de votre départ.

— Est-ce que vous en seriez très-irritée ? demanda Nicolas. — Si je le serais ! Je vous conseille d’essayer. — Mais, en vous examinant, je vous trouve plus maigre que la dernière fois que je vous ai vu, et votre visage est pâle et hagard. D’où vient que vous avez quitté l’Yorkshire ?

Elle s’arrêta ; et il y avait tant de sentiment dans sa voix altérée, que Nicolas en fut touché.

— Je dois être un peu changé, dit-il ; car j’ai été en butte à des tourments de l’esprit et du corps depuis que j’ai quitté Londres. J’ai été bien pauvre, et j’ai souffert du besoin. — Bon Dieu ! monsieur Nicolas, que me dites-vous ? — Rien qui vaille la peine de vous affliger, répondit Nicolas d’un air dégagé, je ne viens pas ici pour me plaindre de mon sort, mais pour une affaire plus importante. Je veux me rencontrer avec mon oncle face à face. — Alors tout ce que j’ai à vous dire, c’est que vous n’avez pas bon goût, et qu’il suffirait que je fusse dans la même chambre, en tête-à-tête avec ses bottes, pour me mettre de mauvaise humeur pendant une quinzaine. — Mon opinion ne diffère pas essentiellement de la vôtre ; mais vous comprendrez que je désire me justifier. J’ai des raisons de croire, d’après ce que m’a dit un de mes amis qui est instruit de tous ses mouvements, qu’il a l’intention de voir ma mère et ma sœur aujourd’hui, et de leur donner sa version de ce qui m’est arrivé. Je veux le rencontrer chez elles. Préparez-les à ma venue : elles me croient bien loin d’ici ; si j’arrive à l’improviste, je les effrayerai. Vous me rendriez un grand service en prenant la peine d’aller leur dire que vous m’avez vu, et que je serai chez elles un quart d’heure après vous. — Je voudrais vous en rendre un plus grand à vous ou aux vôtres, dit miss la Creevy ; mais le pouvoir et la volonté d’obliger se trouvent rarement ensemble.

Tout en parlant très-vite et beaucoup, miss la Creevy acheva son déjeuner en diligence, reprit son chapeau, et, saisissant le bras de Nicolas, se dirigea vers la